Il a le « zizi le plus long au monde ». S’il était question de l’aguiche d’un film porno, ça ne choquerait personne. Mais, quand il s’agit du héros d’un programme pour enfants âgés de 4 à 8 ans et diffusé par le service public au Danemark, il y a de quoi tiquer. Même dans un pays scandinave connu pour son progressisme.
John Dillermand – « John homme-zizi », pourrait-on traduire – est un programme humoristique d’animation diffusé depuis le 2 janvier sur Ramasjang, la chaîne pour enfants de l’organisme danois de radio-télévision publique, Danmarks Radio (DR), l’équivalent de France Télévisions. A l’instar de la série et des films britanniques Wallace et Gromit, John Dillermand a été réalisé en stop motion avec de la pâte à modeler. En l’espace de cinq jours, son générique totalise déjà près de 800 000 vues sur YouTube.
Les treize épisodes, de cinq minutes chacun, mettent en scène le quotidien d’un homme moustachu et maladroit, même s’il essaie de faire le bien autour de lui. A la manière d’Inspecteur Gadget et de son « go-go-gadget au bras », son sexe peut s’avérer bien pratique : il s’allonge pour allumer un barbecue, passer la tondeuse, ou se transformer en rotor d’hélicoptère afin de voler dans les airs.
Sa salopette rayée de rouge et de blanc s’adapte (bien heureusement) à sa morphologie encombrante, qui rappelle la queue du Marsupilami. Il lui arrive de se servir de ce « superpouvoir » pour réparer une de ses bêtises, faire la circulation ou encore sauver des enfants des griffes d’un lion. En gros, il n’y a « rien qu’il ne p[uisse] pas faire » avec son pénis, peut-on même entendre dans la chanson du générique.
Généreux, curieux, souvent naïf, Dillermand se retrouve malgré tout dans de drôles de situations… car il n’arrive pas tout le temps à contrôler son sexe. Parfois, celui-là casse un vase, chipe le cornet de glace d’un enfant, ou encore vole l’argent de musiciens de rue.
Des critiques émanant des populistes…
Depuis la diffusion et la mise en ligne des épisodes début janvier, la page Facebook de la chaîne de télévision est devenue un champ de bataille entre pro- et anti-Dillermand. Des dizaines de parents danois disent éclater de rire avec leurs enfants devant le programme humoristique, tandis que d’autres trouvent la série problématique pour les plus petits. « C’est le programme le plus répugnant et le moins approprié pour les enfants qu’on ait vu depuis longtemps », s’insurge par exemple une internaute, parmi les dizaines de critiques acerbes et autres appels à la démission adressés aux responsables de Dillermand.
La polémique a même pris un tour politique lorsque le député d’extrême droite Morten Messerschmidt s’est emparé du sujet. « Je ne pense pas que regarder les parties génitales des hommes adultes devrait être transformé en quelque chose de commun pour les enfants. C’est ça le service public ? », a critiqué l’élu du Parti populaire danois (Dansk Folkeparti) sur Facebook. Il faut dire que le groupe d’audiovisuel public DR est l’une des cibles préférées des populistes depuis plusieurs années ; l’occasion était trop belle.
… Aussi bien que des féministes
Mais les reproches faits au dessin animé ne sont pas l’apanage des conservateurs. Les féministes s’insurgent également. Dans une société danoise secouée par le phénomène de libération de la parole des femmes victimes d’agressions sexistes et sexuelles (#MeToo), comment réagir à l’idée d’un personnage masculin qui n’arriverait pas à contrôler son pénis ? Cette série favorise-t-elle la « culture du viol » ?
Le choix d’organes génitaux masculins géants par les créateurs de la série pose ainsi question, pour l’autrice danoise Anne-Lise Marstrand-Jørgensen. « Seuls les pénis sont drôles ? […] Je suis épuisée de la domination mondiale du pénis. Devrions-nous simplement rire de nos stéréotypes sexuels tout en reproduisant les mêmes vieilles histoires sur le sexe ? », déplorait-elle dans un post Facebook.
« Cela perpétue l’idée d’une société patriarcale et normalise une culture de vestiaires »
Christian Groes, professeur et chercheur sur le genre à l’université de Roskilde (grande banlieue de Copenhague), craint aussi que la célébration du pouvoir des organes génitaux masculins ne fasse encore reculer l’égalité femmes-hommes. « Cela perpétue l’idée d’une société patriarcale et normalise une “culture de vestiaires”… qui a été utilisée pour excuser beaucoup de mauvais comportements de la part des hommes. C’est censé être drôle, c’est donc considéré comme inoffensif. Mais ce ne l’est pas », a-t-il confié au quotidien britannique The Guardian.
Certains défendent malgré tout Dillermand, comme Erla Heinesen Højsted, une psychologue clinicienne qui travaille avec les enfants :
« L’émission dépeint un homme impulsif et pas toujours en contrôle, qui fait des erreurs – comme le font les enfants –, mais Dillermand […] assume la responsabilité de ses actes. Lorsqu’une femme de l’émission lui dit qu’il doit garder son pénis dans son pantalon, par exemple, il l’écoute. Il est responsable. »
La télévision danoise connue pour repousser les limites
Pour montrer qu’ils avaient envisagé les critiques à venir, la société de production Made By Us et le créateur de la série, Jacob Ley, ont fait savoir qu’ils avaient recruté une psychologue pour enfants pour travailler en amont sur le programme, en coopérant avec l’ONG danoise d’éducation sexuelle « Sex & Samfund » (« Sexe et société »).
John Dillermand doit se regarder avec les yeux d’un enfant, est persuadée la pédopsychologue Margrethe Brun Hansen, qui a lu le scénario pour s’assurer que ces derniers n’interprétaient rien de travers, dit-elle sur le site Internet de DR :
« Les enfants plus petits aiment être nus, explorer ce qui les entoure aussi bien qu’eux-mêmes. Ils jouent à des jeux de docteur, s’examinent, et les enfants rient aux éclats quand ils disent “pet” et “pénis”. »
Pour l’instant, la chaîne n’a pas prévu de déprogrammer le dessin animé. Selon la télévision publique danoise Ramasjang, « c’est une tâche importante que de pouvoir raconter des histoires sur le corps ». « Avec la série, nous reconnaissons la curiosité naissante [des jeunes enfants] pour le corps et pour les organes génitaux, ainsi que l’embarras et le plaisir du corps », s’est défendu le groupe dans un communiqué, avant de dire qu’il aurait tout aussi bien pu créer un programme « sur une femme sans contrôle sur son vagin ».
Ce n’est pas la première fois que l’audiovisuel public danois est montré du doigt pour avoir repoussé les limites des programmes pour enfants et pour adolescents, comme le note un article de DR.dk. En 2019, dans l’émission « Ultra jette les vêtements » (« Ultra smider tøjet », en danois), des ados âgés de 11 à 13 ans posaient des questions à propos de corps d’adultes qui posaient nus devant eux. La chaîne DR Ultra défendait ainsi l’idée que cela favorisait l’acceptation de tous les corps. L’émission punk pour enfants « Onkel Rejes Heavyband » avait été au centre des critiques en 2018, tandis que, six ans auparavant, les conservateurs avaient sursauté lorsqu’un personnage de « Gepetto News » avait révélé son amour du travestissement. La télévision danoise n’a pas fini de faire parler d’elle au-delà de ses frontières.
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