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Cela fait désormais un siècle que des gens se font couper en deux… pour les besoins de la magie

En 1921, P. T. Selbit sciait Betty Barker sur la scène d’un théâtre londonien ; un classique de la magie qui a aussi contribué à propager l’image sexiste de l’assistante glamour.

Publié le 13 janvier 2021 à 12h51, modifié le 17 janvier 2021 à 09h29 Temps de Lecture 3 min.

Sur la scène du Finsbury Park Empire Theatre de Londres, le 17 janvier 1921, l’illusionniste anglais P. T. Selbit − de son vrai nom Percy Thomas Tibbles − invite Betty Barker, son assistante, à grimper dans une boîte en bois. A l’intérieur, la jeune femme est attachée par une corde au cou, à la cheville et au poignet. Une fois le couvercle refermé, le magicien se munit d’une grande scie à main et s’affaire… Quelques longues minutes plus tard, stupeur : sous les yeux ébahis du public, Betty Barker sort indemne du processus. Le tour connaît un succès immédiat.

« C’est une idée très simple, claire et facilement perceptible comme étant impossible », avance Will Houstoun, un magicien en résidence au sein du département de chirurgie de l’Imperial College, interrogé par le quotidien britannique The Guardian. D’autant, explique-t-il, que ce numéro « offre un énorme potentiel de développement et de réinvention ».

Le tour fut décrit dès 1858 dans les « Confidences » de Jean-Eugène Robert-Houdin

Aujourd’hui, le tour est devenu aussi emblématique dans l’imaginaire populaire de la magie que l’inlassable lapin blanc extrait d’un haut-de-forme. La naissance même du concept de la « femme coupée en deux » reste, elle, plus floue. Le tour fut, en effet, décrit dès 1858 dans les Confidences de Jean-Eugène Robert-Houdin, le père de la magie moderne. Selon ce dernier, on le doit à un illusionniste appelé Torrini, qui en aurait réalisé une première version devant le Pape Pie VII, en 1809. Mais, à ce jour, il n’a toujours pas été établi que Torrini ait réellement existé et que ladite présentation devant le souverain pontife eut lieu. C’est donc bien le 17 janvier 1921 qui marque officiellement l’émergence d’une illusion exécutée, depuis un siècle désormais, par un nombre incalculable de magiciens à travers le monde.

Bataille judiciaire

Le tour fut même repris dès l’été 1921, quand le magicien américain Horace Goldin en proposa une interprétation encore plus spectaculaire, en faisant dépasser la tête et les pieds de son assistante de la boîte durant toute la durée du numéro. Peu de temps après, le même homme pousse encore le dispositif en troquant la scie à mains par une scie circulaire. Mais, surtout, il fit protéger de nombreuses appellations de sa performance auprès de la Vaudeville Managers Association, instance réglementant alors cette branche du divertissement aux Etats-Unis, tant et si bien que, quand le magicien Selbit entama une tournée outre-Atlantique, il dut se résoudre à appeler son spectacle The Divided Woman (« la femme divisée »).

En 1922, P. T. Selbit s’efforce de recréer l’émulation autour de sa « femme sciée »

Le Londonien a bien tenté de poursuivre Horace Goldin pour lui « avoir volé son tour », mais ses poursuites ont échoué : le tribunal a estimé que la version de l’Américain était suffisamment différente du spectacle initial. Face à cet échec judiciaire et à un succès en demi-teinte au pays de l’oncle Sam, P. T. Selbit décide de rentrer prématurément au Royaume-Uni, en 1922, où il s’efforce alors de recréer l’émulation autour de sa « femme sciée ». Il élaborera par la suite une série d’illusions, toujours autour du même thème : dans l’une d’elles, il étirait, pressait puis passait une femme… par le chas d’une aiguille, détaille sur son site l’association de promotion de l’art magique ArteFake.

Au-delà de devenir un classique de la magie, le numéro initial de l’Anglais − et l’incroyable écho auprès du public qu’il reçut − participera à la diffusion du stéréotype de l’assistante glamour à laquelle le prestidigitateur fait subir toutes sortes de sévices, fait valoir le créateur d’illusions et historien de la magie moderne Jim Steinmeyer, dans l’ouvrage Art and Artifice : And other essays of illusion (Carroll & Graf, 2006).

Il faut dire qu’à l’époque les sociétés occidentales sont traversées par le mouvement des suffragettes, comme le rappelle au Guardian le président du Magic Circle, Noel Britten :

« Pour chaque personne qui trouvait formidable que les femmes obtiennent le droit de vote, il y avait d’autres personnes qui trouvaient formidable qu’une femme soit mise dans une boîte et sciée en deux. »

Hommes coupés en deux

L’histoire raconte même que P. T. Selbit proposa une coquette somme à l’une des figures de proue du mouvement, Christabel Pankhurst, pour qu’elle lui serve d’assistante pour le tour. Sans surprise, son offre fut déclinée par l’intéressée.

Précisons toutefois que, au-delà de la dimension sexiste, le recours à une assistance féminine pour ce type de numéro relevait aussi de considérations pratiques : la moindre corpulence et la souplesse des femmes étant alors deux éléments primordiaux.

Il aura tout de même fallu attendre l’arrivée de la magicienne américaine Dorothy Dietrich, à la fin des années 1980, pour que les hommes, eux aussi, commencent à se faire couper en deux. Depuis, plusieurs illusionnistes se sont prêtées au jeu, dont l’Australienne Sue-Anne Webster, qui n’a pas hésité à user de la tronçonneuse avec son mari, Tim Ellis, également magicien.

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