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Quand la marine suédoise prenait des bancs de harengs pour des sous-marins russes

Un chercheur a révélé avoir été convié par les militaires, au milieu des années 1990, pour identifier des sons suscitant régulièrement l’inquiétude de Stockholm.

Publié le 27 février 2021 à 16h30, modifié le 16 mars 2021 à 18h39 Temps de Lecture 3 min.

Un navire de la marine royale suédoise à la recherche d’un hypothétique sous-marin russe, en octobre 2014, aux alentours de Stockholm.

Leur présence avait été détectée au large de Törefjärden, de Sundsvall, de Karlskrona, à Hävringebukten, au large d’Oxelösund, autour de Kanholmsfjärden, dans l’archipel de Stockholm… Régulièrement, depuis le début des années 1960, des sous-marins soviétiques, puis russes, ont hanté les eaux suédoises.

Car la neutralité de la Suède – qui, en refusant toute alliance, espère rester à l’écart d’éventuels conflits – n’empêche pas les intrusions. Ainsi, le 27 octobre 1981, le S-363, un sous-marin de la classe Whiskey, appartenant à la flotte de la Baltique de la marine soviétique et désigné sous le nom de code U137, s’échoua à environ 10 kilomètres de Karlskrona, l’une des principales bases navales suédoises. Moscou avança alors qu’il s’agissait d’une malencontreuse erreur de navigation, que le sous-marin s’était égaré à la suite d’une défaillance de son compas gyroscopique. L’engin resta échoué pendant une dizaine de jours avant d’être dégagé par des remorqueurs suédois et escorté dans les eaux internationales pour être remis aux Soviétiques.

Cette mésaventure n’empêcha pas la marine de l’URSS de venir à nouveau rôder dans les eaux suédoises, poussant Stockholm à déployer un réseau de bouées acoustiques destinées à écouter tous signaux suspects venant des profondeurs.

Le mystère des bulles

En 1996, constatant que l’activité sous-marine n’avait pas cessé avec la fin de la guerre froide, la Svenska marinen – la marine royale suédoise – demanda à Magnus Wahlberg, professeur au département de biologie à l’université du Danemark du Sud, d’écouter les sons enregistrés afin de les identifier, dans une salle secrète de sa base de Bergen, à Stockholm.

Le 19 février, il est revenu sur l’affaire au micro de WNYC, une radio de New York. Magnus Wahlberg a expliqué qu’il s’attendait à entendre des sons comme dans les films, le « ping » d’un sous-marin qui aurait été détecté ou celui de ses hélices : « Mais pas du tout ! On aurait dit quelqu’un qui fait frire du bacon, des petites bulles d’air libérées dans l’eau. »

Avec Hakan Westenberg, un collègue suédois, ils penchent alors pour un son d’origine animale. Leurs recherches les mènent aux harengs : lorsqu’ils se déplacent, ces poissons forment de gigantesques bancs qui peuvent atteindre plusieurs kilomètres carrés et jusqu’à 20 mètres d’épaisseur. Surtout, ils disposent d’une vessie natatoire reliée à leur canal anal. Ils peuvent remplir d’air cette poche pour se déplacer en profondeur, afin de compenser la pression de l’eau. Et ce sont les bruits produits quand ils évacuent le surplus de gaz pour remonter à la surface qui peuvent être détectés par les appareils d’enregistrement. La marine suédoise connaissait les signatures sonores des baleines, phoques et autres morses, mais n’avait pas envisagé que de si petits poissons puissent faire un tel raffut.

En 2002, Magnus Wahlberg et Hakan Westenberg publient les résultats de leurs recherches sur les sons émis par les harengs. En 2004, leur travail est couronné d’un prix Ig Nobel de biologie – prix parodique du Nobel décerné chaque année à dix recherches scientifiques qui paraissent loufoques ou anodines –, avec les Canadiens Ben Wilson et Lawrence Dill et l’Ecossais Robert Batty, qui ont mené une étude semblable.

Bouée météo

Malgré cette découverte, la Suède annonce régulièrement qu’elle détecte des intrus dans ses eaux territoriales. La dernière fois, c’était le 17 octobre 2014. Le ministère de la défense annonçait le lancement d’une opération dans l’archipel de Stockholm afin d’identifier des « activités sous-marines étrangères ». La marine suédoise expliquait alors avoir obtenu des informations de trois témoins oculaires crédibles différents. Une photo, publiée par la presse, montrait une forme fine et verticale émergeant d’un bouillonnement d’eau. Des transmissions cryptées envoyées sur une fréquence radio d’urgence utilisée par les unités russes avaient été enregistrées et les sources des transmissions avaient été identifiées comme étant un sous-marin et un site militaire dans la région de Kaliningrad, enclave russe sur les bords de la Baltique.

En 2019, le journal Svenska Dagbladet conclut pourtant que les signaux radio interceptés ne provenaient pas plus d’un sous-marin que dans les années 1990. Cette fois, ils étaient, semblent-ils, émis par une bouée météorologique suédoise défectueuse.

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