Le comité d’éthique du CNRS accuse Didier Raoult

Le Comité d’éthique du CNRS, le COMETS, a publié il y a quelques jours un avis très attendu sur les dimensions déontologiques et éthiques de la crise sanitaire. Un avis rapidement salué par votre serviteur. Car il tranche, par sa franchise et la précision de son propos, avec les communiqués parfois sibyllins des directions des institutions scientifiques devant les dérives de certains chercheurs et médecins. Comme ce désormais célèbre communiqué de la direction du CNRS s’élevant contre des pratiques anti-déontologiques et in-éthiques de l’un de ses sociologues… qui tournait à la devinette. Mais, à qui pouvait bien s’appliquer ces condamnations sévères ??? Impossible de le savoir en lisant le texte qui ne comportait aucun exemple nominatif de ces dérives sévèrement condamnées. La devinette était facile, il s’agissait de Laurent Mucchielli, comme expliqué dans cette note du blog.

Raoult, Douste-Blazy, Perronne

L’avis du COMETS ne soumet pas de devinettes et ne tourne pas autour du pot. Et des noms, soigneusement choisis puisqu’il s’agit de ceux de Didier Raoult que l’on ne présente plus, l’ancien ministre de la santé Philippe Douste-Blazy et le professeur en santé publique Christian Perronne.

Il y a tout de même quelque chose qui pique avec ce texte du COMETS. Pas son contenu, ni ce qui n’y serait pas. Non. Ce qui pique c’est que, pour l’instant, le CNRS n’en fait vraiment pas la promotion. Rien sur la page d’accueil de son site web. Rien sur celle de CNRS info destinée aux journalistes. Alors en voici quelques extraits pour susciter la lecture du texte complet, à télécharger ici.

Sylvestre Huet

(les textes ci-dessous sont des extraits de l’avis du COMETS).

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Le succès d’une communication se mesure à sa capacité d’informer de manière rigoureuse, honnête et objective de façon à ce que chacun soit en mesure de se faire sa propre opinion. Dans le contexte de la crise, ces objectifs n’ont été qu’imparfaitement atteints. Les raisons en sont multiples.
(i) La communication entre scientifiques a été incontestablement d’une immense richesse mais aussi marquée par des disfonctionnements qui ont impacté à la fois la communauté scientifique et le public.
(ii) La finalité de la communication scientifique a été détournée par certains médias qui l’ont traité comme un outil de marketing. Ils ont ainsi contribué à entretenir la confusion entre vérité scientifique et opinion, confusion qui a été par ailleurs alimentée par plusieurs acteurs de la recherche peu respectueux des principes d’intégrité scientifique et qui se sont servi de ces médias pour faire passer des messages à la finalité discutable.
(iii) Des réseaux sociaux et divers blogs ont servi de tribune à des acteurs de la recherche pour y communiquer des informations scientifiquement contestables, non validées par les pairs, leur servant à défendre des positions idéologiques sur des sujets éloignés de leur compétence professionnelles tout en entretenant une confusion entre leur expression à titre personnel et au titre de leur institution.
(iv) Les connaissances sur le virus et la pandémie étant en constante évolution, toute information considérée comme vérité un jour, peut se trouver contestée le lendemain. Or, dans le contexte anxiogène de la pandémie, le public ne peut se satisfaire de réponses qui paraissent ambiguës ou incertaines alors qu’elles ne sont que le reflet des phases évolutives de la recherche. Cette situation déstabilisante peut le conduire à choisir l’information qui le rassure ou conforte son opinion. Ce comportement est d’autant plus exacerbé que les médias de grande écoute, relayés par les réseaux sociaux, favorisent ce qui peut contenter le public.
(v) La peur engendrée par la pandémie favorise la recherche d’exutoires que certains citoyens trouvent dans des réseaux sociaux véhiculant à grande échelle la désinformation, voire des croyances complotistes.
Près de dix-huit mois après le début de la crise sanitaire, et alors qu’elle n’est pas encore achevée, il nous a semblé opportun de faire le point sur l’abondante communication scientifique qu’elle a générée. Identifier et analyser les forces et faiblesses de cette communication, ses excès et dérives, réclame que l’on appréhende ce qu’ont été les attentes et les finalités de ses différents acteurs et en quoi leur message a pu être audible par certains et inaudible par d’autres.

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Le SARS-CoV-2 et la pandémie de COVID-19 ont fait l’objet d’un nombre considérable de travaux de recherche qui ont eu, pour certains, un impact décisionnel sur les politiques de santé et sur l’économie. En témoignent les 272 000 publications et 42 000 prépublications répertoriées pour l’année 2020 dans la base de données Dimensions. Il sera très intéressant d’analyser, avec le recul, le devenir de cette abondante littérature mais nous pouvons, dès à présent, porter un éclairage sur ses forces et faiblesses.

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Néanmoins, on ne peut ignorer les dérives qui ont accompagné cette mobilisation dont certaines ont eu un impact au-delà de la communauté scientifique.

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Les rétractations de deux études majeures parues dans des revues médicales internationalement reconnues, The Lancet et le New England Journal of Medicine (NEJM), sont révélatrices de dysfonctionnements dans les processus éditoriaux. Elles renvoient aussi à la question fondamentale de la responsabilité du chercheur en particulier lorsque l’impact de travaux publiés dépasse la communauté scientifique pour conduire à des décisions politiques prises dans l’urgence et ayant des retombées directes sur la santé des citoyens

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Face à l’urgence de trouver des solutions thérapeutiques à la COVID-19, des acteurs de la recherche et du monde médical ont soutenu que l’intuition ou le « bon sens », médical seraient suffisants pour décider de l’efficacité et de la sécurité d’un traitement. Ils ont déclaré être les tenants d’une « éthique du traitement » qui serait opposée à une « éthique de la recherche ». Ce discours a servi la promotion, par Didier Raoult et son équipe de l’IHU de Marseille, du traitement de la COVID-19 par un antipaludéen connu de longue date, l’hydroxychloroquine (HCQ). Largement ouvert au public, dans des conditions peu respectueuses des règles de déontologie médicale, le traitement a fait l’objet d’un emballement médiatique et politique alors même que son efficacité sur la COVID-19 ne reposait que sur une étude clinique contestable. Les dérives qui ont accompagné la publication de cette étude dans la revue International Journal of Antimicrobial Agents ont alerté la communauté scientifique. Elles sont édifiantes : accepté 24 heures après sa soumission, l’article a eu, dès sa parution, un énorme impact international ; il a été critiqué sur sa méthodologie (élimination de cas, biais statistiques, absence de preuves robustes,) et suscité des commentaires sur le processus de validation par les pairs, l’un des signataires, Jean-Marc Rolain, étant aussi l’éditeur en chef de cette revue. Face à la pression de la communauté scientifique, l’article a été ré-évalué postérieurement à sa publication. L’expertise, rendue publique par la revue, a recommandé le retrait de l’article, ce qui n’a pas été fait, son éditeur en chef l’ayant seulement « ouvert à la discussion ». On ne peut que déplorer une décision qui remet en cause le jugement par les pairs et va à l’encontre des critiques unanimes de ces derniers.
Près de 40 % des articles publiés dans l’International Journal of Antimicrobial Agents depuis sa création en 2013 ont été co-signés par son éditeur en chef, Jean-Marc Rolain, et un, voire plusieurs, membres de l’IHU de Marseille dont Didier Raoult. De tels conflits d’intérêt jettent la suspicion sur la validité de leurs travaux et sont d’autant plus critiquables que cette autopromotion contribue à l’avancement de carrière des auteurs et au financement de leur recherche, tous deux conditionnés par le nombre de leurs publications.
L’article de D. Raoult et son équipe oblige à un questionnement sur la responsabilité des auteurs face à l’énorme impact de leurs résultats en termes de soins. On peut s’inquiéter de ce que cette étude si peu probante ait pu susciter une telle adhésion du public. Il a été impossible par la suite d’en corriger les effets. Comme nous le discutons plus loin, cette situation rassemble beaucoup des ingrédients de ce qui s’apparente au « populisme scientifique ».
Les controverses autour de l’efficacité de l’HCQ ont conduit plusieurs équipes à conduire de nouvelles études. A la suite de la publication de l’une d’entre elles qui ne confirmait pas l’efficacité clinique de l’HCQ, ses auteurs ont subi une violente campagne de cyber-harcèlement sur les réseaux sociaux, allant jusqu’à des menaces de mort. Cette situation a aussi été vécue par trois médecins-cheffes qui en ont fait état dans une tribune de la revue The Lancet. Ces comportements, exacerbés par les nouveaux médiateurs de l’information que sont internet et les réseaux sociaux, sont totalement inadmissibles et nous les dénonçons avec la plus grande vigueur.
Le COMETS s’inquiète aussi des tentatives de judiciarisation du débat scientifique à des fins d’intimidation et en a fait état dans un communiqué. Rappelons, qu’à partir du moment où elles se fondent sur des données factuelles tangibles, la discussion d’hypothèses et de résultats publiés et la mise en cause des procédures de preuves font partie de l’activité normale des chercheurs.
Nous conclurons ce chapitre en rappelant que les tensions entre « médecine qui cherche » et « médecine qui soigne », entre l’urgence des soins et l’obligation de rigueur, même si elles posent des problèmes éthiques particulièrement douloureux, ne sauraient éloigner le chercheur d’une démarche intègre.

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Si certains médias se sont attachés à communiquer des informations de qualité s’appuyant sur la preuve scientifique, d’autres ont dérivé vers une « communication spectacle » volontiers polémique qui a contribué à la défiance de certains citoyens envers la science et les scientifiques.
Dans une période de crise, où la demande du public est importante, les médias télévisuels à large diffusion, et parmi eux les chaînes d’information en continu, devraient idéalement se mettre au service du citoyen pour l’informer. Mais, le régime de concurrence et la pression financière les conduisent à privilégier des stratégies destinées à gagner le plus d’audience. Dans les premiers mois de la crise sanitaire, ces médias ont ainsi diffusé des informations anxiogènes de manière répétitive pratiquement 24 heures sur 24, leur donnant un écho considérable et mêlant des faits scientifiquement établis à de simples conjectures, voire à des rumeurs sans les contextualiser et les questionner. Or, tenter de contrer une information absurde par une argumentation rationnelle est un processus très coûteux et, comme l’énonce la « loi de Brandolini », ou principe d’asymétrie de l’argumentation, « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des foutaises est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire »!
Certains médias audiovisuels donnent aussi l’illusion au citoyen d’être partie prenante de débats d’idées, en organisant des tribunes faussement contradictoires entre des scientifiques et certains invités, qualifiés d’experts mais aux arguments sans fondements scientifiques et volontairement polémiques. Dès lors, les discussions sont organisées non pas en termes argumentés de controverses mais en termes, plus « vendeurs », de rapports de force. Il est alors difficile pour un scientifique ainsi « pris au piège » de faire admettre qu’il ne s’agit pas de confronter des opinions mais de faire état de connaissances avec leur part de doute et d’incertitude. La responsabilité des chercheurs (et quelquefois celle de leur organisme d’appartenance) peut se trouver engagée alors qu’ils ne disposent pas d’un droit de regard sur l’usage qui est fait de leurs propos. On ne peut toutefois pas ignorer que quelques scientifiques, par leur propos délibérément provocateurs et peu scrupuleux, voire irresponsables, contribuent à brouiller les messages à destination du public.
Les médias grand public nous ont donné à entendre en boucle les termes de « grand professeur », « scientifique prestigieux » ou encore « chercheur éminent ». Ces expressions, utilisées à l’excès ont pu donner le sentiment au public que, du fait de leur statut, des individus singuliers étaient porteurs de la « vérité scientifique ». Le COMETS l’a affirmé à plusieurs reprises dans ses avis, et la communauté scientifique le reconnaît dans son ensemble : la vérité s’exprime collectivement et non par la voix d’un seul, fut-il couronné de prix prestigieux, ou signataire d’un grand nombre de publications.

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Dans le contexte de la crise sanitaire, le soutien sans partage d’une partie de la population au traitement à l’HCQ préconisé par Didier Raoult revêt certains traits du populisme scientifique : méfiance à l’égard de ceux qui s’expriment mais ne fournissent pas de clefs immédiates aux questions posées ; préférence pour les solutions simples et rassurantes ; défiance vis à vis des élites supposées ignorantes des réalités de terrain ; opposition de communautés régionales éloignées du centre de gravité parisien de prise des décisions ; rejet des affirmations des scientifiques jugés compromis par leur proximité avec l’instance politique qu’ils conseillent ; enfin une forme de fascination exercée par une « personnalité forte » qui s’affirme par ses défis contre la représentativité académique.
La dérive populiste de la science peut être aussi le fait d’un responsable politique. Ainsi, Philippe Douste-Blazy, ancien ministre et professeur de santé publique, et Christian Perronne, professeur de médecine, lançaient début avril 2020 une pétition en ligne demandant au gouvernement d ’accélérer les procédures de mise à disposition du traitement à l’HCQ et recueillaient près de 600.000 signatures ! Quelques jours plus tard était publié un sondage du Parisien, largement répercuté dans d’autres médias, qui portait sur « la croyance » du public en l’efficacité de l’HCQ. On ne peut que s ’inquiéter que le choix d ’un traitement puisse être décidé par l’opinion publique sur la base d’une pétition ou d’un sondage et que des décisions politiques puissent être prises en se fondant sur des croyances ou des arguments irrationnels, faisant uniquement appel à la peur ou l’émotion.
Les croyances complotistes servent aussi à alimenter le populisme scientifique et vont au-delà de la simple défiance envers la science. Le film documentaire de 2h40 « Hold-Up » mis en ligne fin 2020 en est un exemple édifiant. Son discours simplificateur, à caractère conspirationniste, mélangeant le vrai et le faux, a été abondamment relayé par les médias et par les réseaux sociaux, et a ainsi participé à la désinformation des citoyens sur la pandémie de COVID-19. Certes, la fausseté du discours et son caractère polémique ont été dénoncés par les scientifiques et ont alerté les Académies. Il n’en reste pas moins que, comme cela avait été souligné dans l’avis du COMETS sur la post-vérité, la croyance dans les nouvelles erronées (infox ou « fake news ») sont souvent difficiles à combattre même lorsque l’on en démontre la fausseté.

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A lire sur ce sujet :

► Experts, médias et crise sanitaire.

► Le canular hydroxychloroquine.

► COVID-19 et intégrité scientifique.