Covid-19 : redoutant une quatrième vague cet été, le conseil scientifique appelle à la prudence de tous et met en garde l’exécutif

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A quelques jours de la réouverture des activités et de la levée progressive des mesures de freinage, c’est bien plus qu’un avis que le conseil scientifique a transmis aux autorités le 6 mai à 18 heures, mais un avertissement, une véritable mise en garde. Il en appelle autant à la responsabilité de l’exécutif qu’à celle de chacun d’entre nous.

L’instance insiste fortement sur l’importance d’une « réouverture prudente, maîtrisée ». Deux termes qui reviennent à de nombreuses reprises dans ce document de 36 pages ayant pour titre : « Printemps 2021 : pour une réouverture prudente et maîtrisée avec des objectifs sanitaires ».

Le conseil scientifique se serait auto-saisi pour rédiger cet avis, contrairement à d’autres qui, eux, répondaient à une demande de l’exécutif.

Les spécialistes évoquent d’emblée le contexte « difficile » dans lequel interviennent les mesures d’allègement annoncées le 30 avril. En effet, si l’accélération du déploiement de la vaccination apparaît comme « une grande partie de la solution au cours des prochains mois », l’instance souligne le « décalage » entre les conditions d’ouverture envisagées et le taux insuffisant de la couverture vaccinale de la population – une situation pouvant exposer la population à la diffusion de variants. Le conseil scientifique rappelle que nous sommes à un « moment critique de fragilité ». En effet, explique-t-il, même si une immunité post-infectieuse s’est développée dans une fraction de la population déjà exposée au virus, cette dernière est néanmoins à un niveau insuffisant pour induire une immunité collective. Faute d’une couverture vaccinale protectrice, le virus est ainsi soumis à une pression immunitaire qui favorise la sélection de souches virales potentiellement porteuses de mutations d’échappement immunitaire, et donc susceptibles d’entretenir la circulation du virus dans la population non vaccinée.

Pour ces raisons, sur le plan proprement sanitaire, le conseil scientifique s’interroge sur « la temporalité du processus d’ouverture ». En d’autres termes, il estime que le moment n’est pas forcément le plus approprié pour autoriser la reprise des activités au regard d’un contexte épidémique qui demeure difficile. Et de souligner que, au Royaume-Uni, « malgré un rythme de vaccination soutenu, l’assouplissement des mesures de restriction s’effectue selon un plan de sortie du confinement prudent », et que « celui-ci se veut guidé par les données épidémiologiques, et non par un calendrier ». De même, le conseil scientifique fait remarquer que l’Irlande et le Portugal assouplissent très progressivement les mesures sanitaires afin d’éviter une reprise épidémique, et ce alors que la vaccination connaît dans ces pays un rythme de progression comparable à celui de la France.

Le « danger indiscutable » des nouveaux variants

L’instance considère que l’émergence de variants, en particulier ceux renfermant une mutation d’échappement immunitaire, telle la mutation E484K/Q, constitue « un danger indiscutable ». En effet, cette mutation en position 484 dans la protéine spike a été observée dans de nouveaux variants, dont l’émergence est, répétons-le, favorisée par un niveau élevé de diffusion du virus dans la population. Il apparaît donc que la détection de variants ayant acquis cette mutation constitue un marqueur important pour évaluer l’impact délétère de la pression immunitaire sur l’émergence de variants.

« Ces variants représentent un risque majeur pour la France à très court terme, risque qui s’accélère s’il est accepté un niveau de circulation non maîtrisée du virus, alors que la vaccination n’a pas atteint le niveau assurant une protection collective », résument les spécialistes. Ils soulignent que l’Ile-de-France, qui est la région dans laquelle le taux d’attaque est le plus élevé et l’incidence la plus forte, est également celle dans laquelle le pourcentage de virus présentant la mutation E484K est le plus important.

La course de vitesse entre vaccins et variants perdure

Dans un tel contexte épidémiologique national (et évolutif), et dans la mesure où la situation internationale est jugée sérieuse en raison de la circulation de variants préoccupants, le conseil scientifique considère que « la cinétique d’accélération de la campagne de vaccination est un élément majeur ». Il estime ainsi que, à court terme, la stratégie d’accélération du rythme de la vaccination doit concerner les adultes, et qu’il est essentiel de parvenir à réaliser 500 000 vaccinations par jour, y compris durant les week-ends de l’Ascension et de la Pentecôte.

L’instance estime que « la période difficile se situe entre début mai et fin juin, alors que se poursuivra la course de vitesse entre variants et vaccination, en particulier dans les régions où le virus continue à circuler à un niveau élevé ». Elle insiste sur le fait qu’il est « essentiel » de conserver les mesures de distanciation physique durant cette période. Mais pas seulement. Les spécialistes déclarent qu’il convient, dans le même temps, de dépister les personnes contagieuses asymptomatiques dans le cadre d’une stratégie Tester-tracer/Isoler.

Prendre conscience des enjeux soulevés par la réouverture

Selon le conseil scientifique, il importe que la population comprenne qu’elle a le pouvoir d’agir en maintenant les gestes et les mesures barrières. « Le relâchement des mesures de restriction ne doit pas être considéré comme un signal de relâchement général », insistent les spécialistes. Le maintien d’un relâchement contrôlé devrait également s’accompagner d’une adhésion de la population à un dépistage itératif par des tests salivaires et par des autotests antigéniques. Le conseil scientifique en profite pour faire remarquer que le Royaume-Uni autorise depuis le 9 avril ses citoyens à accéder gratuitement à deux autotests rapides par semaine.

Par ailleurs, concernant l’utilisation du pass sanitaire, l’instance souligne qu’il ne permet « ni de se dispenser du port du masque, ni de renoncer à exiger à une ventilation suffisante des lieux clos ».

Afin d’envisager plus sereinement le début de l’été, « nos concitoyens doivent avoir conscience des enjeux soulevés par la réouverture » et de l’importance de leur adhésion individuelle aux mesures de protection, martèle le conseil scientifique.

Contrôler les frontières

Sur le plan international, dans un contexte de reprise de l’épidémie en partie liée à de nouveaux variants, le conseil scientifique souligne la nécessité de mettre en place un contrôle strict des déplacements aériens en provenance des pays fortement touchés par des variants. Il recommande également de surveiller les vols entre l’Inde et la Réunion en raison de leurs liens particuliers.

Fixer des objectifs sanitaires

Au total, les spécialistes estiment que « la question fondamentale est celle du niveau auquel on souhaite voir l’incidence des cas se stabiliser, dans un contexte où l’élimination n’est pas envisagée à court terme », et où le choix de l’exécutif « s’intègre dans une vision stratégique de vivre avec le virus, y compris à un niveau élevé ».

Sans le formuler explicitement, le conseil scientifique critique le seuil de 400 cas pour 100 000 habitants, qui est celui fixé par Emmanuel Macron pour permettre une levée des restrictions. Il se borne à souligner que le point essentiel est que l’intensité des mesures de freinage pour se maintenir en plateau doit être identique, que ce plateau soit à 30 000, 10 000 ou 5 000 nouveaux cas par jour, ce qui correspond à des incidences de respectivement 300, 100 ou 50 pour 100 000 par semaine. Or, souligne le conseil scientifique, nos voisins européens visent des niveaux d’incidence bien moins élevés, allant progressivement de 100 à 50 pour 100 000 par semaine. En France, si l’on continuait sur la pente de décroissance actuelle (avec un taux de reproduction effectif de 0,78), il faudrait attendre respectivement le 25 mai et le 15 juin prochain.

Répondant par anticipation à ceux qui espèrent ou pensent que le virus pourrait beaucoup moins circuler en France pendant la période estivale, d’autant que l’on vit alors plus souvent en extérieur, l’instance rappelle que le SARS-CoV-2 a recommencé à circuler l’an dernier de façon active dès le début du mois de juillet, avec un taux de reproduction qui avait atteint 1,5 à la mi-août 2020. S’appuyant sur des données de modélisation, le conseil scientifique estime qu’« un rebond important de l’épidémie est possible durant la période estivale si les mesures de contrôle sont relâchées trop rapidement, et cela même lorsque l’on considère un rythme important de vaccination ».

Les prochaines semaines restent incertaines et à risque de reprise épidémique

En conséquence, l’instance estime que les mois à venir seront plus faciles à gérer dans l’hypothèse où l’on parviendrait à vacciner 35 millions de personnes d’ici fin juin. Une première étape de franchie, mais qui ne serait cependant pas définitive, insistent les spécialistes. En revanche,  « les mois qui viennent seront très incertains » si l’on ne parvenait pas à une incidence inférieure à 100/100 000 par semaine, préviennent-ils.

En cas de quatrième vague, alerte le conseil scientifique, l’épuisement des personnels de santé n’offrira plus les mêmes capacités de prise en charge, en soins critiques en particulier, surtout si cette vague intervenait pendant une canicule estivale.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)

Pour en savoir plus :

Avis du conseil scientifique Covid-19. 6 mai 2021. Printemps 2021 : Pour une réouverture prudente et maîtrisée avec des objectifs sanitaires.

20 réponses sur “Covid-19 : redoutant une quatrième vague cet été, le conseil scientifique appelle à la prudence de tous et met en garde l’exécutif”

  1. Merci M. Gozlan pour ces précisions. Bien que non spécialiste, je trouve regrettable que notre gouvernement ne table pas sur la prudence. La santé publique ne décide pas comme un coup en bourse. Derrière, ce ne sont pas des pertes matérielles, mais des morts et des soignants exténués.

    1. Ne cherchez pas plus loin. Notre Grand Leader Bien Aimé pense a sa réélection. Il veut « vivre avec » le virus même si 400 personnes meurent par jour

  2. Quatrième vague ou rebond de la troisième…? La nuance est subtile…

  3. Levée des restrictions ne veut pas dire fin de pandémie. Vaccination ne veut pas dire non plus immunité. L’euphorie ne doit pas faire perdre le bon sens bien évidemment. Nous sommes tous responsables de nos comportements et des risques inhérents, pour nous et pour les autres. A chacun individuellement d’avoir le souci de ne pas disperser le virus et ses potentiels variants, de ne pas mettre les autres en danger. On doit tous se protéger mutuellement. C’est à ce prix que nous pourrons reconquérir les espaces de liberté perdus.

  4. Merci pour cet éclairage Marc Gozlan, et merci au conseil scientifique d’avoir rappelé une réalité sanitaire « oubliée » dans les annonces de réouverture progressive du PR, c’est évident qu’il y aura un rebond de l’épidémie à la rentrée de septembre, est-ce que la reprise économique et les échéances électorales doivent prévaloir sur notre protection sanitaire ? Je suis consternée de voir dans cette campagne de vaccination la même incompétence qui a régi la gestion des masques au début de l’épidémie.

  5. Le super optimisme d’Emmanuel Macron ressemble étrangement à celui de l’an dernier à la même date. Idem pour le réouverture à l’issue du confinement 2 ou encore au refus de fermer les écoles en février. A posteriori, beaucoup d’erreurs.
    Espérons que cette fois-ci le pari fonctionne.

  6. Comme le conseil scientifique, je suis très préoccupé par la gestion de la pandémie en France dans les quatre mois qui viennent. Le calendrier politique vient créer des difficultés supplémentaires dans la lutte, sous prétexte de donner de la « visibilité ». Les soucis des politiques ne sont évidemment pas ceux des médecins et des scientifiques. La crise est gérée par un exécutif sourd et des technocrates irresponsables, qui pensent déjà plus à l’élection présidentielle de 2022 qu’à la sortie de crise. Il va falloir sortir sa carte d’électeur et les sanctionner sèchement dans les urnes le moment venu.

    1. Nos politiques n’ont pas été brillants, mais pas pire que plein d’autres. La démocratie nous permet d’en changer mais pour mettre quoi à la place. Il faut aussi changer les technocrates qui ont failli et pensent essentiellement à sauvegarder leur place. Là ça devient plus compliqué. Et puis tant qu’on y est, changeons aussi les Français qui sont quelque part les principaux responsables en ne respectant pas les gestes barrière (un bon 10-15%). Et aussi les épidémiologistes docteurs en diverses spécialités qui passent plus de temps à pérorer sur BFM, etc. que dans leur hôpital ou leur laboratoire.

    2. Complètement d accord, ils ruinent les efforts de mois entiers sans aucun scrupule. Le risque pris là est déraisonnable. Vote sanction.
      Une hospitalière

  7. Macron assume la vie avec le Covid mais derrière les formules un peu creuses ce sont des morts supplémentaires qu’on dénombre chaque jour. La stratégie de stop and go à des niveaux de plus en plus élevés pour relâcher les contraintes abouti non seulement à littéralement sacrifier une partie de la population mais également à handicaper durablement l’économie par rapport aux pays qui ont été d’emblée plus stricts.
    La gestion de la pandémie par Macron s’avère depuis le début une caricature soviétique sauf que ça se passe en France. Le conte du ni droite, ni gauche mais des gens compétents et pragmatiques au gouvernement LREM a vécu et s’achève de façon tragiquement ridicule.

  8. Il y a des évidences économiques, sociales et même sanitaires qui échappent à ce Conseil scientifique. On ne peut pas continuer à vivre ainsi ! Le 30 juin, cela fera 15,5 mois que nous sommes privés de liberté, l’été 2020 n’ayant été qu’une parenthèse franco-française avec des libertés très relatives. Les dégâts économiques, sociaux et psychologiques sont effarants. Priver 67 millions de personnes de leurs libertés fondamentales pour en protéger une extrême minorité est anti-démocratique. On parle de déconfinement alors qu’on est enfermé à 19h ? Au niveau mental la population est très affaiblie, beaucoup ne s’en remettront jamais. En discutant avec des amis vivant dans des pays libres et qui ont écourté leur séjour quand on leur a raconté le quotidien d’un Français, un proche a été effaré de constater son degré de soumission qui le rend inapte à se projeter dans un quelconque avenir professionnel et social.

  9. J’ai relu quelques articles et leurs commentaires depuis un an relatifs aux confinements et déconfinements, certains d’entre nous ont dit tout et son contraire, et l’ont sans doute oublié, tant l’histoire va vite sur ce sujet aux perspectives toujours incertaines. Le conseil scientifique est dans son rôle, et les politiques doivent prendre en compte les réalités économiques et sociales, autant que la fatigue des contraintes que subit la population depuis plus de 16 mois, notamment les plus jeunes, vecteurs de transmission mais moins touchés par la maladie. C’est un débat sain et nécessaire. Je ne suis pas sûr qu’il autorise des avis définitifs et péremptoires allant dans un sens ou dans l’autre.

  10. Un comité sanitaire pour évaluer l’état mental du PR serait salutaire.
    Macron est en train de s’attaquer à tout ce qui est compétent dans l’État.

    Le conseil scientifique ;
    L’ENA, même s’ils peuvent énerver;
    Le corps de la préfectorale.

    Par contre les comités secrets sans aucun contrôle démocratique pullulent :
    Conseil de défense sanitaire
    McKinsey, dont on ne sait rien.

    Bien sûr les macrobéats vont ricaner.

  11. Commençons par tous appliquer les gestes barrières. Même vacciné il faut les respecter et les appliquer.

    Nous avons besoin de vivre avec le virus. Nous nous adapterons.

    Un gouvernement qui fait confiance et rend responsable ses concitoyens devrait être salué. Nous ne sommes pas uniquement des petits soldats.

    Amis scientifiques : la peur est la pire des facons de gouverner. Le danger arrive.

  12. Les comportements socialement bénéfiques sont généralement basés sur la satisfaction des égoïsmes. Ainsi chacun en cherchant à améliorer sa situation concourt au bien-être général. La levée des restrictions n’entre pas dans cette logique. Il faut donc la rendre inoffensive. Je propose donc une très forte incitation à la vaccination voire contraignante comme de nombreux pays l’envisagent aujourd’hui.

  13. Le conseil scientifique est inquiet et c’est normal qu’il se soit auto-saisi. Pour autant la légitimité de cette institution en terme scientifique me semble faible. En effet sa constitution s’est faite un peu à la va vite pour répondre à l’urgence du moment par l’exécutif. Les grands organismes de recherche comme l’INSERM ou le CNRS n’ont pas vraiment été consulté lors de sa constitution. Une fois de plus on a eu l’impression que les relations sociales et la proximité de certains comme l’Institut Pasteur avec le pouvoir politique a plus influencé la constitution de cette instance que les démarches classiques de l’auto-évaluation de la recherche par elle même. D’un point de vue scientifique on peut être, comme je le suis, déçu par la présentation bien peu scientifique des avis rendus. Dernier point, la formation médicale est longue car elle intègre les premières années de pratiques qui sont associées à la fin des études. La médecine a une exigence scientifique, mais les études médicales de base ne forment pas des scientifiques. On peut noter que la place de la formation mathématiques, notamment en statistiques ne permet pas à un médecin de comprendre la construction d’un modèle épidémiologique SIR tout simple, ni de faire par lui même une analyse risque-bénéfice sur l’usage des vaccins.

  14. Vu de l’Oise on ne compte qu’une 2ème vague qui a commencé fin octobre début novembre (sauf si on prend en compte les minima locaux). Dans mon entourage personne ne se risque à faire des pronostics (positifs ou négatifs), on fait avec.

  15. Les futures mesures d’allègement ne sont pas plus incompréhensibles que la liberté de circulation maintenue pendant les vacances de février dernier avec le maintien d’un décalage temporel entre les régions académiques. Sauf à penser que les autorités tentent de trouver un équilibre entre les niveaux de pandémie, d’activités économiques, de stabilités sociales. Lâcher un peu de pression avec la connaissance que la pandémie sévira sur le long terme. Les équilibres sont toujours fragiles et demandent toujours plus d’efforts pour être rétablis lorsqu’il y a une bascule.

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