LA LISTE DE LA MATINALE
Les animaux, petits et gros, déferlent sur les écrans et rarement semaine de cinéma aura autant pris des allures de ménagerie. Depuis la vache laitière de First Cow, qui débarque en radeau sur les berges de l’Oregon, jusqu’à l’arachnide se faufilant à flanc de carton au cours d’un déménagement dans La Jeune Fille et l’Araignée. En passant par des spécimens plus figurés, comme les étalons violents de Pleasure, qui hantent les arcanes du porno hollywoodien, ou les plumitifs de la Restauration, qu’on voit, dans Illusions perdues, régler leurs comptes par « canards » interposés.
- Chef-d’œuvre
« First Cow » : la promesse d’un monde vivable
Ce n’est vraisemblablement pas demain que Kelly Reichardt aura son nom sur le Hollywood Walk of Fame, ce trottoir de Los Angeles jalonné d’étoiles portant les noms de stars. Elle n’en est pas moins l’une des plus grandes cinéastes de l’histoire du cinéma américain. Preuve à l’appui : la sortie de son nouveau film, First Cow, variation sur le temps des pionniers et film de la frontière à l’extrême ouest des Etats-Unis, en Oregon, où vit la réalisatrice.
L’histoire du film, qui se déroule en 1820, pourrait tenir sur une recette de beignet. Deux émigrés, Otis Figowitz, dit « Cookie », cuisinier itinérant et orphelin qu’on suppose venu d’Europe orientale, et King-Lu, fugitif droit arrivé de Chine, se lancent dans la fabrication de beignets. Ces quelques grammes de finesse dans un monde de brutes occasionnent le succès fulgurant du produit. Un secret de fabrication en explique la raison : les deux businessmen en herbe y mettent du lait de vache. Pour mieux dire, du lait de la seule vache de l’Oregon – que l’auguste représentant d’une compagnie anglaise a fait venir à grands frais pour son usage personnel.
Autour de cette situation d’une simplicité biblique, la cinéaste réalise ce qu’on pourrait appeler un film écologique total. Une œuvre où toute chose – la nature des sentiments, la qualité des personnages principaux, l’esprit de l’intrigue, et jusqu’à sa propre fabrication – est pensée en termes de rapport et de juste mesure entre l’homme et son environnement. Jacques Mandelbaum
Film américain de Kelly Reichardt. Avec John Magaro, Orion Lee, Toby Jones, Ewen Bremner, Jared Kasowski (2 h 02).
« La Jeune Fille et l’Araignée » : la valse du déménagement
Rares sont ceux qui osent encore s’en remettre aujourd’hui au pur langage de la mise en scène. Ramon et Silvan Zürcher, frères mais aussi cinéastes, scénaristes, producteurs et monteurs, nés en 1982 en Suisse alémanique, ont prouvé leur dextérité dans le domaine avec un brillant film de fin d’études, L’Etrange Petit Chat (2013), qui tenait avec une métrique d’une précision impressionnante la chronique d’un dérèglement familial. La Jeune Fille et l’Araignée prolonge cette écriture sophistiquée, voulant que la situation la plus ordinaire cache des trésors d’affects et de sentiments entremêlés.
Il vous reste 81.45% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.