Sauvage. Que recouvre ce mot à facettes ? Que signifie le verbe « s’ensauvager » ? Quels espaces pour l’indomptable, ce qui nous échappe, le non-humain ? Ces questions, exacerbées par la crise écologique, sont au cœur de la table ronde intitulée « Sauvage », organisée par le Théâtre de la Ville-Espace Cardin, à Paris, pilotée par la chorégraphe Rocio Berenguer, et programmée en livestream mardi 20 avril. « Le sauvage, c’est problématique et c’est pour cette raison que j’ai imaginé cette rencontre, commente-t-elle. Pour moi, c’est la liberté et l’altérité dans son sens le plus extrême, autrement dit tout ce qui n’est pas moi, humain et non-humain. »
Ce rendez-vous est le premier épisode du « Laboratoire de mythologies contemporaines ». Imaginé par la danseuse espagnole, ce cycle, qui regroupe artistes et chercheurs, souligne le trajet de Rocio Berenguer au carrefour de la danse et des sciences. Actuellement en tournée, son spectacle G5 fantasme sur une « coopération entre le minéral, le végétal, l’animal, la machine et l’humain. »
« On parle beaucoup de ce nouveau monde qui est en train d’apparaître mais, comme le dit l’écrivain Antonio Gramsci que j’aime citer, “le vieux monde est en train de mourir, et le nouveau se bat pour naître : maintenant, c’est le temps des monstres” », poursuit Rocio Berenguer. Chaque table ronde impulse un matériel informatif qui sera retravaillé en studio par la chorégraphe. Une création, un rituel, en l’occurrence un film sur le mythe sauvage, sera réalisé et visible le 7 mai sur les réseaux du Théâtre de la Ville, à Paris.
Cette opération à double détente s’appuie sur des témoignages d’experts de la question. D’horizons variés, de la géographie comme François-Michel Le Tourneau, auteur de L’Amazonie, histoire, géographie, environnement (CNRS Editions, 2019) à l’anthropologie avec Marc Higgins qui vient de publier un article intitulé Now that nature is dead, what’s left to the wild, (« Maintenant que la nature est morte, que reste-t-il pour le sauvage ») dans un ouvrage collectif aux Editions de l’Université Savoie Mont Blanc, chaque personnalité aborde le sauvage selon sa discipline.
« Un antidote »
La philosophe des sciences, Virginie Maris, rattachée au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier, autrice de La Part sauvage du monde (Seuil, 2018), place la problématique au cœur de la crise de la bio-diversité. « Le sauvage est une notion qui n’est pas stabilisée du point de vue scientifique, commente-t-elle. Personnellement, je tente de revisiter le sauvage comme un antidote à ce qu’on appelle l’anthropocène, qui place la vie de la planète sous la domination des activités humaines. Je fais un pas de côté pour redonner du sens à ces lieux comme les déserts par exemple ou ces êtres tels les chevreuils, qui échappent au design humain et possèdent leur dynamique propre. » Elle évoque le retour d’espaces à la nature sans activités humaines, la disparition depuis 1970 de 60 % des vertébrés terrestres… « Le monde sauvage s’effondre sous nos yeux », glisse-t-elle.
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