Adèle Charvet vient de chanter les Trois poèmes de Stéphane Mallarmé, de Ravel, qu’elle a nimbés de son mezzo généreux aux teintes mordorées, ciselant des notes blanches dans le fantasmatique Soupir, absorbant en douceur les ressauts de Placet futile, tandis que Surgi de la croupe et du bond se laissait entraîner dans une sensualité touchant au morbide. A 27 ans, la Française possède un bel aplomb et une voix de miel sombre. De Manuel de Falla, elle interprète la rare Psyché, poème pour voix, violon, alto, violoncelle, flûte et harpe, avant de proposer deux des célèbres Siete canciones populares espanolas, accompagnée non par l’habituel scalpel du piano mais par les brumes de harpe de la véloce Coline Jaget, qui adoucissent la Jota de contours un peu myopes, et donnent à la berceuse Nana un côté plus intime et poignant.
Musiciens à huis clos, armada de câbles, caméras et micros, le 25e Festival de Pâques de Deauville, dont l’édition 2020 avait dû être annulée en raison de la pandémie de Covid-19, a opté cette année pour une version numérique : cinq concerts sur les neuf initialement prévus, pour la plupart diffusés en direct, et disponibles gratuitement durant quinze jours sur différentes plates-formes. Une solution imparfaite mais vitale pour le fondateur et directeur artistique du festival, Yves Petit de Voize, qui a eu à cœur de soutenir musiciens et techniciens dès le printemps 2020 en recourant au chômage partiel et en reportant le maximum de concerts.
Une génération d’instrumentistes
Hier, comme aujourd’hui, c’est toute une génération d’instrumentistes français, la quatrième depuis 1997 et Renaud Capuçon, à l’origine du projet, précise Yves Petit de Voize, qui se donnent la main, telle une chaîne d’alliance. Tous se sont cooptés, passés par les fourches caudines des académies de Verbier ou de Rolle, en Suisse, de Kronberg en Allemagne, la Chapelle Reine Elisabeth, à Bruxelles. C’est à Deauville que des amitiés se sont forgées, que des quatuors à cordes sont nés ainsi que des duos de pianistes, tandis qu’un orchestre se forme chaque année à l’instar d’une grande marée dont l’éphémère estran recouvrirait la musique d’un sédiment précieux.
Ainsi lors du concert du 1er mai, qui verra l’orchestre du festival, L’Atelier de musique, composé de chambristes pour la plupart en résidence à la Fondation Singer-Polignac, enregistrer sous la direction de Pierre Dumoussaud deux nouvelles œuvres du compositeur Olivier Greif (1950-2000) : la Symphonie pour baryton et orchestre, ainsi que le Quadruple concerto « Danse des morts », ajoutant à la collection « Deauville Live » du label B Records, un deuxième opus après Les Chants de l’âme, gravé par Marie-Laure Garnier (révélation lyrique aux Victoires de la musique 2021) avec le pianiste Philippe Hattat.
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