ARTE RADIO - À LA DEMANDE - PODCAST
« J’ai 62 ans, je suis journaliste, écrivain, militant, et j’ai une passion pour le jardinage et les hommes barbus. » Ainsi commence ce très bel épisode de « Transmission », podcast coproduit par le fonds de dotation Agnès b. (La Fab) et Arte Radio qui, chaque mois, met en ligne un tête-à-tête d’une heure ou presque avec des femmes et des hommes « défricheurs et inspirants », pionniers de la pop culture.
Après Brigitte Fontaine, Pierre Lescure ou encore Jackie Berroyer, voici venu le temps de s’arrêter sur le parcours de Didier Lestrade, figure centrale des mouvements LGBT français, que les millenials ont peut-être découvert à travers le personnage de Thibault (Antoine Reinartz) dans le long-métrage multicésarisé en 2018 et désormais culte de Robin Campillo 120 battements par minute.
Didier Lestrade se souvient comment, attiré par les garçons, il n’arrive pas à mettre un mot sur ses désirs avant de découvrir, effrayé, le mot « homosexuel » dans un dictionnaire. Il a 13 ans. Six ans plus tard, il quitte le Lot-et-Garonne et s’installe à Paris. Découvre le clubbing – Le Palace, Le Sept, Le Colony, Le Pimm’s… Rencontre son premier boyfriend, le graphiste Misti, avec lequel il fonde Magazine dans lequel « l’idée était de publier les corps avec les visages, de s’afficher, vraiment ».
Très vite, il entre au quotidien Libération et devient l’un des premiers journalistes français à parler de house comme de hip-hop. « La musique des années 1970 était sociétale, se souvient-il. On pensait qu’elle allait changer le monde. » Quand il part à New York en 1987 pour y écrire un guide, Didier Lestrade est séropositif depuis un an. Il découvre Act Up, association américaine de lutte contre le sida, fondée cette année-là : « C’est la révélation. »
A son retour en France, il crée, avec Pascal Loubet et Luc Coulavin, Act Up-Paris en 1989 : « Je ressentais le besoin, explique-t-il, de donner quelque chose en retour à ma communauté. » Grâce à de nombreuses archives, l’auditeur (re)vit certaines manifestations coups de poing de l’organisation – notamment à Notre-Dame de Paris en 2005 avec un simulacre de mariage gay.
Hiver et précarité
Didier Lestrade rappelle qu’au début l’essentiel de leur travail fut de veiller à la mise sur le marché de traitements contre le VIH. « Une tâche effrayante » quand, à l’époque, « on nous donnait cinq ans d’espérance de vie ». Il devient la voix majeure contre le phénomène du barebacking (la pratique de rapports sexuels non protégés) en France. En 2000, Didier Lestrade publie son premier livre, Act Up, une histoire (Denoël), qui relate les onze premières années de l’association dont il fut un élément incontestable mais parfois contesté.
Commence alors la dernière partie de l’entretien, particulièrement émouvante et évidemment moins connue car plus personnelle. Didier Lestrade parle de sa vie à la campagne. De la nature qui ne juge pas quand on a « mauvaise gueule », dit-il. Il parle de sa saison préférée, l’hiver : « C’est encore plus graphique, c’est encore plus net, on voit tout. »
Il parle aussi de sa précarité : « Je ne m’attendais pas, quand j’ai commencé à Act Up, à finir au RSA avant ma retraite. Je savais que je ne serais pas riche, mais pas à découvert tout le temps, et c’est drôle de retrouver à la fin de sa vie quelque chose que vous avez connu jeune : cette impression de ne pas compter, que c’est toujours le meilleur de la classe qui remporte tout. » La voix est apaisée, mais nette. Pas misérabiliste, mais réaliste. Il est peut-être temps de l’écouter.
Entretien avec Didier Lestrade mené par Aude Lavigne et réalisé par Charlie Marcelet pour le podcast mensuel « Transmission » (Fr., 2021, 60 min). En ligne à partir du mercredi 5 mai sur Arteradio.com et sur les plates-formes de podcast.
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