Où il y a de la gêne, il y aurait du plaisir. C’est avec en tête cette inversion de proverbe que Timothée Régnier, chanteur et multi-instrumentiste mieux connu sous l’alias de Rover, a choisi de se cloîtrer dans un lieu froid et guère hospitalier pour confectionner son troisième album, Eiskeller – soit « cave à glace » en allemand. Ce mot, inscrit sur les clés de l’atelier qu’il a occupé dans les anciennes glacières de la commune bruxelloise de Saint-Gilles, a fini par agir comme un « mantra rassurant ». On lui avait parlé de la possibilité de louer un espace dans ce site industriel reconverti en locaux culturels (ateliers, locaux de répétition), qui fournissait jadis les brasseries : « Il n’en restait qu’un : le plus grand, le plus austère, le plus froid – 8 °C à l’année –, au sous-sol. »
Le musicien se demande encore pourquoi il s’est « infligé une expérience comme celle-là », une quarantaine pour son entrée dans le même âge : s’enfermer et s’isoler pendant quinze mois, les quatre premiers à se convaincre que cette contrainte était une bonne idée et qu’il fallait persévérer. Par refus du confort et du conformisme du studio, avec son ingénieur du son et ses horaires fixes ? Pour introduire une rupture climatique avec deux premiers albums (un sans titre en 2012 puis Let It Glow en 2015), salués comme des réussites de pop made in France – ils sont chantés exclusivement en anglais, langue qu’il a choisie comme on le ferait pour un « un instrument de musique » ? Rover voit pourtant cet ensemble comme « une fratrie, un triptyque : les ingrédients et les outils sont les mêmes, et je ne m’en lasse pas ; le fil rouge est de parler de soi, du rapport au temps, à l’amour, à l’amitié, les actes manqués… et il y a toujours ma tronche sur les pochettes, je ne sais pas si c’est par ego ou par cohérence ». Sur celle d’Eiskeller, son profil col relevé évoque le Bowie-Nosferatu de Low – membre, avec les Beatles et les Beach Boys, de sa Sainte Trinité en B.
Refuge souterrain
« Tout est affaire de décor », rimait Aragon. Celui de Rover pour Eiskeller était fait de murs épais, tuyaux de réfrigération, miroirs et sacs de boxe – un club avait récemment élu domicile dans la glacière. Ni internet, ni téléphone, ni même eau courante. « On est coupé de la lumière du jour, raconte-t-il. Quand j’éteignais, j’avais presque le silence absolu de la grotte de Lascaux, un noir qui frôle l’angoisse. Ça m’a plu. C’était intimidant et dur de crâner là-dedans. De toute façon, personne n’écoutait ce que je faisais. » Ce refuge souterrain, il a fallu l’apprivoiser et l’aménager, avec des couvertures aux murs ou en plaçant les micros après essais, prise de notes et marques au sol avec du scotch.
Il vous reste 56.77% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.