Elle arrive comme si de rien n’était, et d’emblée elle est la prof. Le cartable lourd au bout du bras, les épaules tombantes après une journée passée en classe, autant dire dans la cage aux fauves. Au Festival d’Avignon, avant une longue tournée, Nicole Garcia joue Marie NDiaye, un texte intitulé Royan. La professeure de français, et c’est une rencontre au sommet entre les deux femmes.
Ce début d’une véracité sidérante, pourtant, n’est là que pour donner le cadre dans lequel vont se déployer des enjeux beaucoup plus amples et profonds. Avec Marie NDiaye, on quitte d’emblée les rives du réalisme, pour plonger dans la psyché d’une femme, qui, à l’occasion d’un événement dramatique, remonte le fil d’une vie aux arêtes brisées.
Gabrielle rentre chez elle, dans la lumière dorée d’un soir, à Royan, et à peine franchie la porte d’entrée, elle sait qu’« ils » l’attendent. « Ils », ce sont les parents d’une jeune fille, Daniella, qui s’est jetée par la fenêtre de la salle de classe, quelques jours auparavant. Daniella était la risée de ses camarades, parce qu’elle n’était pas conforme : trop grosse, pas habillée, pas coiffée comme il fallait. Elle écrivait des textes que sa professeure de français se reproche maintenant de ne pas avoir su lire.
Royan n’est pas pour autant une pièce « sur » le harcèlement scolaire. Marie NDiaye, comme toujours chez elle, inscrit l’événement de départ dans une dimension tragique bien plus tellurique, en renvoyant en miroir la destinée des deux femmes, la prof et l’élève. Elle, Gabrielle, a pourtant réussi là où Daniella aurait échoué. Elle est, en apparence, parfaitement adaptée aux règles de la société. C’est une belle femme, blonde et mince, reconnue dans son travail.
Blessures intimes
La mort de sa jeune élève fait craqueler cette façade et ressortir les blessures intimes d’une vie où passent les fantômes de l’Algérie, de l’abandon d’un enfant, de la haine pour une mère qui n’a pas su l’aimer. L’écriture de Marie NDiaye se déploie de manière somptueuse dans ce monologue où on la sent plus libre, moins gênée aux entournures par la commande que dans Berlin mon garçon, récemment mis en scène par Stanislas Nordey.
L’écrivaine offre surtout, avec Gabrielle, une nouvelle variation, magnifique, à ses personnages de monstresses brisées. De Rosie Carpe (Editions de Minuit, 2001) à Marlyne et Me Susane, les deux héroïnes de son dernier roman, La vengeance m’appartient (Gallimard, 240 p., 19,50 €), l’écrivaine n’a pas sa pareille pour explorer les abîmes intérieurs de ces femmes que la tranquillité d’une vie « normale » – le mariage, la maternité – semble détruire de l’intérieur plus sûrement que l’action violente.
Il vous reste 36.23% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.