Une lourde croix est couchée sur le plateau de la Cour d’honneur du Palais des papes. Elle est enroulée de cordes devant les murailles écrasantes d’un haut lieu de la chrétienté. La religion, l’une des obsessions du metteur en scène et chorégraphe Marcos Morau, est surexposée dès le début du spectacle Sonoma, interprété par dix danseuses-chanteuses. Crucifixion terminée ou à venir ? La mise à mort est derrière nous, dans une précédente pièce de l’artiste espagnol intitulée Le Surréalisme au service de la révolution (2016) : une femme y était portée en croix. Elle en est descendue dans Sonoma, qui dégage à grands cris et roulements de tambour un nouveau chapitre insurrectionnel au féminin.
Avec cette œuvre impressionnante, visuellement et musicalement remarquable, qui a fait se lever une majeure partie des 1 947 spectateurs de la Cour d’honneur, mercredi 21 juillet, Marcos Morau, 39 ans, tisse une étoffe somptueuse, nouant serré quelques-unes des mythologies espagnoles qui innervent son travail depuis la création de sa compagnie, La Veronal, en 2005. Le poids du catholicisme, de la culture et du passé, le folklore, l’irrationnel se lovent dans les plis de cette fresque polyphonique.
Dans un nouveau rapprochement avec le cinéaste Luis Buñuel (1900-1983), Marcos Morau s’est immergé dans les fêtes et les rassemblements de grosses caisses qui se déroulent pendant la semaine sainte, à Calanda, ville de Buñuel. Il a exploré, avec sa troupe, les danses et musiques traditionnelles, dont la jota aragonaise et la danza de los zancos (« danse des échasses ») d’Anguiano, dans la région de la Rioja. Ces sources d’inspiration entremêlées, où l’on retrouve aussi Debussy, Wagner et de l’électro, composent un tapis de sons et de chants, cloches et castagnettes s’entrechoquant, sur lequel les interprètes décollent.
Le défi spatial que représente une mise en scène pour la Cour d’honneur est ici légèrement biaisé par le chorégraphe. Sonoma n’a pas été spécialement imaginé pour ce plateau démesuré de 550 mètres carrés, mais conçu pour tourner dans les théâtres de tous gabarits. Des écrans blancs très cinématographiques réverbèrent les évolutions des danseuses et cernent l’espace. Au centre, une aire de jeu grise resserre encore l’action. Les remparts du Palais sont parfois intégrés dans le propos à coups rapides de projecteurs, signes visibles d’un cerveau féminin illuminé, ou pris d’assaut par un réseau de longues cordes. Ces effets, épatants et efficaces, trop ponctuels, font néanmoins résonner le lieu et les thèmes convoqués.
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