Cinq ans se sont écoulés depuis la sortie de Peur de rien, le précédent long-métrage de Danielle Arbid. La réalisatrice franco-libanaise nous reçoit dans son appartement à la déco composite du 10e arrondissement à Paris, où résonne le chant sépulcral d’un Leonard Cohen tardif. Adapté du livre éponyme d’Annie Ernaux et labellisé « Cannes 2020 », Passion simple a dû attendre son heure par-delà la parenthèse pandémique. Il marque un virage dans une filmographie qui, penchée sur l’attraction des corps, n’a jamais eu froid aux yeux et a valu à la cinéaste exilée quelques anicroches avec son pays d’origine, où ses œuvres restent interdites.
« Passion simple » est le premier de vos films qui n’a pas de lien direct avec le Liban. Auriez-vous tourné la page ?
Mes précédents films étaient autobiographiques alors que le livre d’Annie Ernaux raconte la vie de tout le monde, d’où la difficulté de l’adapter. Le livre retrace le souvenir d’une passion ce qui n’est pas la même chose qu’une histoire d’amour : il s’agit de retrouver avec la plus grande exactitude le fil d’une émotion. C’est une sorte d’opération chirurgicale. Ce qui m’a plu, c’est le courage de l’autrice à mettre au jour cette hantise d’être abandonnée, d’avoir à ramper devant quelqu’un. J’ai admiré sa façon de s’exposer sans fard, sans vergogne. Ernaux a été très attaquée à la sortie du livre en 1992. Elle m’a envoyé la revue de presse de l’époque, très violente à son égard.
La passion que vous décrivez est une sorte de soliloque. On a l’impression qu’elle commence quand l’autre s’en va…
Dans le livre d’Ernaux, l’homme n’existe pas, n’a pas de consistance. On le retrouve plus concret dans Se perdre, écrit dix ans plus tard. Mon problème était donc de l’incarner à l’écran. J’ai essayé de le créer comme une sorte de fantasme, comme un dieu. Quand on tombe amoureux, on fantasme l’autre, qui n’a pas d’existence arrêtée – on s’en rend compte quand le charme est rompu. Et dans la passion à plus forte raison.
C’est d’ailleurs un danseur qui l’incarne, l’Ukrainien Sergei Polunin. Comment l’avez-vous choisi pour faire face à Laetitia Dosch ?
C’était très difficile de trouver un Russe ou un Ukrainien qui accepte de faire un rôle comme celui-là. Ceux que j’ai castés voulaient tous que ce soit l’homme le narrateur. Ils pouvaient être nus pour chasser l’ours dans la forêt mais pas pour être aux côtés d’une femme, au corps à corps. Ils sont très conservateurs. Ce danseur, en revanche, est génial, il a la capacité, comme Laetitia Dosch, de prendre des risques insensés.
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