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Cheikh Jaber Al-Ahmed Al-Sabah, émir du Koweït

Il est mort, dimanche 15 janvier, à la suite d'une longue maladie. Il était âgé de 79 ans. Ame du Koweït, il régnait sur cet émirat pétrolier depuis 1977.

Par Marc Roche

Publié le 17 janvier 2006 à 14h19, modifié le 17 janvier 2006 à 14h19

Temps de Lecture 4 min.

L'émir du Koweït, cheikh Jaber Al-Ahmed Al-Sabah, est mort, dimanche 15 janvier, à la suite d'une longue maladie. Il était âgé de 79 ans. Qualifié d'"homme de vision, de générosité et de clairvoyance" par Jacques Chirac, le treizième émir de cette dynastie, à la tête du pays depuis la fin du XVIIIe siècle, a régné pendant vingt-huit ans, marqués par une prospérité sans précédent, d'importantes réformes sociales, les heures sombres de la guerre Iran-Irak, en 1980, et la première guerre du Golfe, en 1991.

Né le 29 juin 1926, troisième fils du dixième émir, cheikh Jaber exerce très tôt des responsabilités en dirigeant, à l'âge de 21 ans, la sécurité publique de la principale province pétrolière de l'émirat. En 1959, cet anglophile dans l'âme se voit confier le portefeuille des finances et du pétrole par l'administration coloniale britannique, responsabilités qu'il conserve après l'indépendance, en 1961. Quatre ans plus tard, cheikh Jaber devient premier ministre et, en 1966, prince héritier de son cousin, Sabah Al-Salem Al-Sabah. Il accède au trône tout naturellement à la mort de ce dernier, en 1977.

Sur le plan politique, le nouvel émir fait preuve de velléités de réformes, comme l'atteste la création d'un Parlement-croupion. Cette ébauche de représentation est toutefois dissoute, le 3 juillet 1986, pour "mauvaise exploitation" de la démocratie. Mais c'est surtout sur le plan économique et social que le chef de l'Etat innove dès sa prise de fonctions en créant le Fonds de réserve pour les futures générations destiné à compenser l'amoindrissement inévitable des revenus pétroliers.

Alimentée chaque année par 10 % des revenus de l'or noir, cette institution dispose d'un bras séculier, le Kuwait Investment Office, qui va défrayer la chronique des marchés financiers dans les années 1980 en multipliant les participations industrielles dans toute l'Europe. En 1989, la valeur du bas de laine koweïtien placé à l'étranger est estimée à une centaine de milliards de dollars.

Cette tirelire extraterritoriale sauve les Al-Sabah lors de l'invasion du royaume par les troupes irakiennes, dans la nuit du 1er au 2 août 1990. Quinze jours auparavant, Saddam Hussein avait accusé le Koweït de pomper illégalement le brut irakien, allégations alors catégoriquement rejetées. L'émir échappe de peu à la capture en s'enfuyant à bord d'un hélicoptère juste avant la prise de son palais. Alors que cheikh Jaber s'installe à Taëf, dans la résidence d'été de la famille royale saoudienne, son gouvernement se réfugie à Londres, au siège du KIO. Ses actifs permettront de financer à la fois l'effort de guerre des alliés occidentaux, notamment les Etats-Unis, et arabes, et la reconstruction, en particulier la remise en état des quelque 700 puits de pétrole incendiés lors du retrait irakien.

Le retour au pays le 14 mars 1991, après sept mois d'exil, n'a rien d'une entrée triomphale. La discrète réception à l'aéroport met en relief le fossé entre la cour et une partie de la population. L'opposition, aussi bien laïque qu'islamique, s'est imposée comme force politique en organisant, notamment à l'intérieur de l'émirat, la résistance à l'ennemi.

Mal conseillé, l'émir accepte que les membres de la famille princière accaparent, comme par le passé, les postes-clés dans le nouveau gouvernement. Sous la pression de l'administration Clinton qui appelle à maintes reprises les Al-Sabah à instaurer des règles démocratiques et à respecter les droits de l'homme, cheikh Jaber doit toutefois lâcher du lest.

Ainsi en 1999, à la surprise générale, il annonce que les femmes pourront voter et se présenter aux législatives de juillet 2003, mais ce projet est rejeté par le Parlement dominé par les conservateurs. Mais parallèlement, ce traditionaliste dissout l'Assemblée en mai 1999 en invoquant comme raison le manque de coopération entre les pouvoirs exécutif et législatif à propos de plusieurs affaires de corruption impliquant certains ministres appartenant à la famille régnante. En politique étrangère, la constante menace que représente Saddam Hussein amène le Koweït à soutenir l'invasion de l'Irak en 2003. Aujourd'hui, l'émirat abrite le plus important contingent de forces américaines en dehors de l'ancienne Mésopotamie, un soutien qui lui vaut d'être la cible du terrorisme islamiste.

Cheikh Jaber lègue certes une économie en plein essor, dopée par l'effet de la flambée des cours du pétrole sur un pays dont le sous-sol abrite un dixième des réserves prouvées d'or noir de la planète. Reste que sa volonté de libéralisation s'est heurtée au nationalisme et au clientélisme de la classe politique qu'illustre le report aux calendes grecques de l'ouverture du secteur énergétique aux capitaux étrangers.

Conformément à la Constitution, le prince héritier, cheikh Saad Al-Abdallah Al-Sabah, de quatre ans son cadet, et de santé fragile, succède à cheikh Jaber. Le vrai pouvoir sera toutefois exercé par le chef du gouvernement sortant, cheikh Sabah Al-Ahmed Al-Sabah, comme c'était le cas depuis l'hémorragie cérébrale dont avait souffert le défunt en 2001. C'est à ce moderniste que l'on doit les avancées les plus récentes, comme la promulgation de la liberté de la presse ou la nomination d'une femme pour la première fois au gouvernement au poste de ministre de la planification.

La disparition de cheikh Jaber intervient peu après les décès de trois autres symboles de l'émergence des pétromonarchies du golfe Persique dans les années 1970-1990 : cheikh Maktoum à Dubaï (le 4 janvier), le roi Fahd en Arabie saoudite (le 1er août 2005) et cheikh Zayed à Abou Dhabi (le 2 novembre 2004).

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