Nicolas Barreyre, maître de conférences au Centre d’études nord-américaines de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), décrit les querelles qui opposent les historiens aux Etats-Unis sur ce que le développement du capitalisme doit à l’esclavage au début du XIXe siècle.
Quel est le rôle des grandes plantations esclavagistes du sud des Etat-Unis dans l’économie américaine jusqu’à la guerre de Sécession (1861-1865), qui met fin à l’esclavage ?
Dans les années 1970, la conception dominante chez les historiens, comme chez les économistes, était que le Sud esclavagiste vivait dans une économie précapitaliste inefficace et peu rentable qui ne pouvait survivre face au Nord, engagé dès le début du XIXe siècle dans la révolution industrielle et capitaliste. Mais après la crise de 2008, les historiens se sont à nouveau intéressés aux origines du système économique américain, forgeant ce que l’on a appelé « la nouvelle histoire du capitalisme ».
L’idée est que l’économie esclavagiste du Sud était bien capitaliste, qu’elle a fortement contribué à l’essor du capitalisme dans le Nord, dont les usines « tournaient » avec le coton du Sud ou fournissaient les machines agricoles des plantations, et dont les banques assuraient le financement et l’expansion. La demande de coton est telle qu’il y a, dans les années 1820, une explosion des surfaces cultivées, et donc du nombre d’esclaves, dans les Etats du Sud.
Mais la demande européenne, en pleine croissance de son industrie textile, explose également : le coton représente une grande part des exportations américaines. Les planteurs financent leurs investissements auprès des marchands de coton britanniques de Liverpool, qui font à l’époque offices de banquiers. Or, le principal « collatéral » que les planteurs apportent en garantie de leurs emprunts est… leurs esclaves. Les esclaves sont en effet leur principal « actif », et leur achat, leur principal investissement, car à cette époque le foncier – pris aux Amérindiens – est surabondant.
Des fortunes se constituent-elles également dans la traite des esclaves ?
La traite, c’est-à-dire la capture d’esclaves en Afrique et leur transport, est interdite à partir de 1808. L’essentiel du marché de traite à destination des Etats-Unis était détenu par les marchands britanniques. Mais le marché intérieur aux Etats-Unis, entre planteurs, continue.
Cette interprétation du rôle moteur de l’économie de plantation dans l’expansion du capitalisme est contestée par d’autres historiens. Pourquoi ?
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