Le prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel décerné lundi 12 octobre aux deux économistes américains Paul Milgrom (72 ans) et Robert Wilson (83 ans) renoue avec la tendance majoritaire des attributions du « prix Nobel d’économie » depuis sa création, en 1969 : le couronnement d’une longue carrière d’économistes, le plus souvent nord-américains, vouée à l’élaboration de modèles théoriques d’amélioration du fonctionnement des marchés dans le sens d’une plus grande rationalité.
En l’espèce, le sujet traité au travers d’innombrables publications par les deux lauréats – dont l’un, Robert Wilson, fut le « patron » de thèse de l’autre, Paul Milgrom – est l’organisation des marchés lorsque les acteurs adoptent une stratégie d’optimisation de leurs gains, alors même qu’ils valorisent de façon différente un bien et ignorent partiellement la façon dont les autres acteurs le valorisent. Un problème de logique, explique la mathématicienne Françoise Forges, professeure d’économie à l’université Paris-Dauphine, admirative de la façon dont les deux hommes, sortis du moule mathématique, sont « entrés dans cette complexité », qui n’a cependant pas qu’une valeur théorique. Car c’est bien l’organisation optimale des marchés qu’ont étudiée les deux professeurs de Stanford – forages pétroliers, distribution de l’électricité, téléphonie, 3G, 4G et 5G…
Pour ce faire, Paul Milgrom a proposé avec Robert Weber dans un article fondateur de 1982 d’analyser le fonctionnement des marchés d’enchères, dont les œuvres d’art, les timbres-poste et les bouteilles de vin étaient plutôt jusqu’alors les produits de prédilection. Car précisément, comment se « fabrique » un prix lorsqu’il ne l’est pas par le biais d’un marché traditionnel, mais par la compétition des subjectivités ?
L’économiste William Vickrey, Prix Nobel 1996, avait déjà décrit le fonctionnement d’enchères ascendantes, dans lesquelles chaque acteur connaît « sa » valeur du bien vendu : celle à partir de laquelle il arrêtera de monter. Mais dans une telle situation, observe M. Milgrom, le gagnant paiera forcément plus que la valeur d’équilibre, puisque les autres acteurs l’estimaient inférieure – c’est ce que les économistes appellent « la malédiction du gagnant », précise Jacques Crémer, professeur à l’Ecole d’économie de Toulouse.
Mieux rémunérer les pouvoirs publics
Paul Milgrom et Robert Wilson modéliseront la façon dont, pour éviter ce piège, la valeur attribuée par chaque acheteur est modifiée par ce qu’il estime être la valeur que chacun des autres acheteurs est susceptible d’attribuer au bien – utilisant, à cet effet, la théorie des jeux, qui tente de déterminer les équilibres optimaux entre participants à un jeu dont les règles sont connues de tous, explique Christian Schmidt, professeur émérite à Paris-Dauphine.
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