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Henri Poupart-Lafarge, PDG d’Alstom : « Sur le contrat du RER B, les conditions ne sont pas réunies »

Invité du Club de l’économie du « Monde », mercredi 3 février, le patron du groupe ferroviaire veut renégocier la commande des nouveaux Transilien, attribuée à un groupement associant Bombardier Transport, que son entreprise a acquise, et l’espagnol CAF, mais pas encore signée.

Propos recueillis par  et

Publié le 04 février 2021 à 10h28, modifié le 30 mars 2021 à 16h05

Temps de Lecture 5 min.

Henri Poupart-Lafarge, PDG d’Alstom, à Paris, le 3 février 2021.

Avec l’acquisition de la division transport du canadien Bombardier, officialisée vendredi 29 janvier, Henri Poupart-Lafarge, le PDG d’Alstom, est désormais à la tête d’un groupe qui a doublé de taille, dépassant les 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, doté de 75 000 salariés et présent dans 70 pays. Deux ans après l’interdiction de son mariage avec Siemens, il détaille ses ambitions et revient sur sa guérilla judiciaire autour du contrat du RER B.

Qu’apporte l’intégration de Bombardier Transport à Alstom ?

C’est d’abord l’aboutissement de quasiment une décennie de tentatives de consolidation. Il y a presque dix ans, nous discutions déjà avec Bombardier dans d’autres configurations, avant même de parler avec Siemens. Maintenant, effectivement, l’opération se réalise avec Bombardier, qui apporte une complémentarité géographique extrêmement bonne, avec une présence renforcée en Chine, en Amérique du Nord et en Europe du Nord, par rapport à l’ancien Alstom. Cela nous permet d’acquérir une taille critique dans chacun de ces marchés.

Mais il y a aussi des inquiétudes. En particulier sur le très gros marché du RER B, perdu par Alstom avant la fusion. Il a été attribué à un consortium formé de Bombardier et de l’espagnol CAF. Vous en héritez désormais, mais vous n’avez pas l’air d’en vouloir…

C’est un dossier très, très compliqué, et qui nécessite de prendre un peu de recul. Il y a eu une attribution du marché au consortium Bombardier-CAF – donc, maintenant, Alstom-CAF – et qui n’a pas encore été signée. Or nous avons de grandes inquiétudes sur la faisabilité technique et financière de l’offre. Nous souhaitons – et c’est l’objet de la médiation que nous proposons – pouvoir discuter de ces inquiétudes avec la RATP, avec Ile-de-France Mobilités et avec l’ensemble des parties prenantes. Ce qui devrait inclure CAF ; je n’ai aucune difficulté là-dessus.

Mais il faut qu’on en parle – et pas seulement par presse interposée –, parce que c’est un dossier extrêmement lourd, qui engage la région Ile-de-France et Alstom pour les dix prochaines années. Il nous semble que, y compris pour les passagers, il faut que le projet se passe bien, que l’on puisse délivrer les trains à l’heure et aussi éviter que ce soit un gouffre financier pour Alstom. C’est mon rôle de dirigeant d’entreprise d’y veiller. Or, aujourd’hui, ces conditions ne sont pas réunies.

« [Si nous exécutions le contrat en l’état], je peux vous dire que, oui, nous perdrions de l’argent. Beaucoup d’argent »

Il y a un point à mettre sur la table. Nous avons expérimenté une seule fois un consortium avec CAF sur un contrat de métro [à Porto Alegre, au Brésil, en 2012]. Et, objectivement, cela a été une catastrophe. CAF était responsable des bogies [chariots situés sous un véhicule ferroviaire, sur lesquels sont fixés les essieux], comme il l’est sur le contrat du RER B. Cela s’est très mal passé, et la flotte a été à l’arrêt pendant deux ans. Est-ce cela que l’on veut ? La flotte du RER B à l’arrêt pendant deux ans ?

Quel est votre objectif ? Remettre Alstom dans le jeu, ou plutôt empêcher Bombardier de faire une bêtise ?

Je n’ai pas un but précis en tête. Je veux dialoguer, ouvrir un cadre dans lequel on puisse dire nos inquiétudes et, ensuite, prendre une décision collective sur le sujet. Je considère que l’offre technique de Bombardier est extrêmement tendue. Ils n’ont pris aucune marge de manœuvre sur aucun des organes. Je sais que la RATP est, à juste titre, un client extrêmement exigeant, et je ne veux pas que, dans deux ou trois ans, on nous reproche le fait que la climatisation et l’accélération ne sont pas au niveau…

Perdriez-vous de l’argent si vous exécutiez le contrat en l’état ?

Nous sommes tout juste en train d’analyser l’offre. Mais je peux vous dire que, oui, nous perdrions de l’argent. Beaucoup d’argent.

Mais vous avez déposé des recours en justice avant même le rachat… La RATP, la SNCF, la région Ile-de-France considèrent que ce sont des manœuvres dilatoires. N’est-ce pas un problème de se fâcher avec des clients aussi importants ?

C’est ma responsabilité de chef d’entreprise de dire les choses, de dire : « Nous ne sommes pas prêts. Ce n’est pas raisonnable. Nous ne pouvons pas le faire. » Cela ne fait pas plaisir au client, évidemment. Des tensions se créent, parce qu’ils ont leurs propres contraintes. C’est normal. Mais on ne peut pas passer sous silence le fait que, si on s’embarque tel quel dans cette aventure, on ira dans le mur collectivement.

Que répondez-vous à ceux qui affirment que, si Alstom se développe bien à l’international, c’est parce qu’il est plus cher en France ?

Ceux qui disent cela ont dans la tête un modèle de trente ou même quarante ans, à une époque où les grandes sociétés [tricolores] avaient des clients français quasiment captifs et exportaient peu à partir de la France. Ce n’est vraiment plus le cas. L’activité, [dans l’Hexagone], dans le nouvel Alstom, va représenter entre 12 % et 13 % du chiffre d’affaires, et, en fait, on gagne plutôt moins d’argent en France que dans l’ensemble du groupe. Nos trains ne sont pas plus coûteux [dans l’Hexagone] qu’ailleurs. Le TGV français est l’un des moins chers d’Europe. Le prix à la place de notre TGV du futur est totalement imbattable.

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Sur l’international, on peut dire qu’il y a une forme de régionalisation de l’activité. Et c’est d’ailleurs l’un des intérêts de notre coopération avec Bombardier. Dans les métiers ferroviaires, les financements étant publics, les autorités exigent une localisation de la production. Cela nécessite d’avoir un outil industriel partout dans le monde.

Dans quelle mesure souffrez-vous de la crise sanitaire ?

La situation épidémique a eu un impact énorme sur tous nos clients et sur toutes les autorités organisatrices des transports. Cela a nécessité de notre part une adaptation forte pour que, même s’il y a moins de passagers, nos services de maintenance restent assurés pendant toute la crise.

Mais, si certains appels d’offres ont été décalés, aucun projet n’a été annulé. Au contraire. Dans tous les pays, les autorités ont compris que les plans de relance n’avaient de sens que s’ils permettaient d’accélérer la transition écologique. Et l’on sait très bien que cette transition, dans la mobilité, passe par l’accroissement du transport ferroviaire. Donc, oui, 2020 a été difficile en termes commerciaux, mais les perspectives industrielles 2021-2022 sont très bonnes. Contrairement à d’autres industries, il n’y a pas eu d’annulations dans notre carnet de commandes.

Il y a une coïncidence entre la crise sanitaire, qui a touché tout le monde et de manière souvent dramatique, et la crise climatique, qui, elle aussi, va être dramatique si on n’agit pas radicalement. Je n’aime pas le terme, mais Alstom bénéficie de la crise environnementale. Mais cela nous donne une énorme responsabilité. Cela nous oblige.

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