Chronique. Peut-on être heureux au temps du Covid-19 ? La question semble cynique à l’heure où le coronavirus poursuit ses ravages à travers le monde après avoir déjà tué officiellement 2,8 millions de personnes. Elle se pose pourtant depuis que le bonheur est un objet d’étude pour les économistes, et que le bien-être est devenu un élément pour évaluer le succès ou l’échec d’une politique. L’interrogation a aussi le mérite de sortir d’un débat polarisé depuis un an sur deux préoccupations : les dégâts de la pandémie sur la santé publique et l’activité économique.
Au fond, que ressentent les hommes et les femmes dans un contexte aussi anxiogène qu’inédit pour eux ? La chasse au bonheur est une quête difficile, l’approche du concept de bonheur tout autant. Les Nations unies, qui lui consacrent, le 20 mars, une « Journée internationale », n’ont pas renoncé à apporter chaque année une réponse globale avec la publication du World Happiness Report. Réalisé avec l’institut Gallup dans 149 pays (95 cette année pour cause de Covid-19), en croisant le sentiment de bonheur avec d’autres facteurs (richesse, solidarités, liberté…), ce rapport offre un tableau unique, sinon parfait.
La question posée est simple : où vous situez-vous sur une échelle de 0 à 10 ? La réponse est inattendue : le bonheur a résisté au Covid-19, même si le virus nourrit un pessimisme momentané. « De façon surprenante, il n’y a pas eu en moyenne de déclin du bien-être dans l’évaluation que les gens font de leur propre vie », constate l’économiste John Helliwell, un des responsables de l’enquête. Si l’on compare l’annus horribilis passée à la période 2017-2019, la note moyenne passe même de 5,81 à 5,85 sur 10. Une « remarquable résilience », résument les experts, dont l’étude ne couvre cependant pas la troisième vague de la pandémie.
Bouleversements du mode de vie
Comment l’expliquer ? Le bonheur est un sentiment profond, parfois insensible à certains bouleversements du mode de vie. Quand les gens peuvent se projeter à long terme, leur résilience est plus forte, diagnostique le rapport. Ils ont aussi constaté une relative égalité face à un virus qui frappe puissants et misérables. Enfin, la gestion de la pandémie a joué, analyse Jeffrey Sachs, économiste à l’université Columbia (New York) et coauteur de l’enquête : en Occident, les dirigeants ont évité de désespérer des citoyens méfiants à leur égard et cherché un équilibre précaire entre mobilisation sanitaire et préoccupations sociales – illustré par la stratégie risquée d’Emmanuel Macron. Le contraire des choix imposés d’une main de fer aux Chinois… dont le sentiment de bien-être a progressé.
Il vous reste 55.91% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.