Pertes et profits. A peine le masque de la pandémie de Covid-19 est-il tombé que le monde renoue avec ses vieux démons. Ils hantent la campagne pour les élections régionales des 20 et 27 juin, et envahiront sûrement la prochaine, nationale. Notamment la peur de la mondialisation, qui s’ajoute à celle de la transition écologique. Car, non seulement la crise sanitaire n’a pas arrêté les changements du monde, mais elle les a accélérés.
En témoigne l’annonce spectaculaire, mardi 15 juin, du cabinet d’audit et de conseil PwC, qui va embaucher 100 000 personnes supplémentaires dans le monde au cours des cinq ans à venir, pour aider les entreprises à affronter les transitions environnementale, sociale et de gouvernance qui se profilent.
Pour prendre la mesure des transformations en cours et de leurs causes, il faut lire le petit livre lumineux de l’économiste Lionel Fontagné, La Feuille de paye et le Caddie (Ed. Sciences Po, 112 pages, 9 euros). Grand spécialiste du commerce international, il y traque les sources de la « fatigue de la mondialisation », qui a saisi les peuples, en France, en Amérique, en Grande-Bretagne et ailleurs. Il y tente un bilan entre les bienfaits d’un gain de pouvoir d’achat (le « Caddie »), et les conséquences de la mondialisation sur la diminution de leur revenu (la « feuille de paye »).
Poches de précarisation
Réponse : le déclin de l’emploi industriel est largement antérieur à l’arrivée de la Chine sur les marchés mondiaux. Le progrès technique a fait son œuvre avant et touché, non pas tant des secteurs particuliers que des tâches, celles codifiables et automatisables. Le déclin de la classe ouvrière a débuté au seuil des années 1980. Les délocalisations n’ont fait qu’accentuer le phénomène et la bascule des emplois.
Relativisons : entre 2001 et 2007, la mondialisation a fait perdre 88 000 emplois manufacturiers à la France, tandis que sur la seule année 2019, le pays a créé 230 000 emplois. Mais ce ne sont pas les mêmes. Ceux qui disparaissent sont concentrés et ceux qui apparaissent sont plus diffus, essentiellement dans les services. Le bilan favorable est terni par des poches de précarisation qui sautent aux yeux.
La politique n’a pas su s’occuper des perdants qui, au chômage en France ou avec des petits boulots aux Etats-Unis, n’ont plus les moyens de remplir leur chariot, même bon marché. La réponse est dans la réglementation sociale et environnementale et dans la formation des exclus, pas dans le protectionnisme à la sauce Trump, qui aurait coûté, selon M. Fontagné, 7 milliards de dollars (5,8 milliards d’euros) par mois aux ménages et aux entreprises américains. On ne règle pas les problèmes en fermant la porte.