Pertes et profits. La baguette sera-t-elle un jour inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, comme la France l’a proposé à l’agence onusienne, en mars ? En attendant cette consécration planétaire, son prix agite les esprits. Et tout part du Chicago Board of Trade, où le cours du blé a fortement augmenté depuis septembre, renchérissant du même coup la farine. Si l’on y ajoute les surcoûts de l’électricité et du gaz, et une pincée de hausse du smic et des emballages, ce pain d’environ 250 grammes, qui fait la fierté nationale, devrait enregistrer une hausse de 5 à 10 centimes d’euro chez les boulangers, quand ils ne l’ont pas déjà décidée.
A 89 centimes, en moyenne, le prix de la baguette de base se rapproche de la barre de 1 euro. On n’y est pas, assurent les professionnels, qui négocient parfois avec les meuniers un lissage des hausses de la farine, en attendant une baisse de la matière première. « Je ne connais pas de boulanger qui augmente de 20 centimes le prix de la baguette, affirme le président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française, Dominique Anract, dans un entretien à l’Agence France-Presse. Il n’y a pas lieu de s’affoler. »
Un problème de ressenti
On ne plaisante pas, pour autant, avec la baguette, dans un pays où l’on en grignote 320 par seconde. Ce n’est pas seulement un emblème national, comme le coq ou le béret, mais aussi la mesure – ressentie – de l’inflation. A tort. Car son prix n’a pas flambé, après le passage du franc à l’euro en 2001, même s’il a quand même grimpé de 25 % jusqu’à la crise financière de 2008. Avec 23 centimes sur vingt ans, l’augmentation n’est que de 35 %, un peu supérieure à l’indice des prix (+ 30 % ), ont calculé les experts de l’Insee. Une hausse contenue, qui doit beaucoup aux supermarchés. Il faut près de deux minutes de travail en moins pour acheter une baguette qu’il y a quarante ans, où elle coûtait l’équivalent de 0,25 euro.
Si une majorité de Français se plaint que « tout augmente » et si le pouvoir d’achat s’impose comme le thème dominant de la campagne présidentielle, c’est surtout que les dépenses préengagées (loyers, télécoms, assurances…) représentent une part croissante du revenu des ménages : un tiers en moyenne, mais 61 % pour les foyers les plus pauvres, contre 21 % pour les plus aisés. C’est sur la base du reste-à-vivre, le revenu arbitrable permettant de financer les autres dépenses, qu’ils ressentent une dégradation de leur pouvoir d’achat. Le renchérissement de la sacro-sainte baguette amplifie ce ressenti sans changer la donne.