Editorial du « Monde ». Un sigle va bientôt disparaître, emportant avec lui une tranche de l’histoire de France. Jeudi 8 avril, Emmanuel Macron a annoncé la suppression de l’Ecole nationale d’administration (ENA) et son remplacement par un Institut du service public. La gestation de cette réforme, à laquelle beaucoup ne croyaient plus, a duré deux longues années, mais le changement ne devrait plus se faire attendre. Il sera officialisé d’ici au mois de juin par voie d’ordonnance avec un double objectif : démontrer qu’en dépit de la crise sanitaire le quinquennat reste placé sous le signe de la rupture, et prouver qu’un président de la République, tout inspecteur des finances qu’il soit, peut s’affranchir du milieu d’où il vient.
Emmanuel Macron n’est pas le premier des chefs de l’Etat à avoir voulu réformer l’ENA. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy y avaient également prétendu, sans y parvenir, tant l’établissement, créé en 1945 par la volonté du général de Gaulle, a fini par devenir une véritable marque à la fois admirée et décriée. Il a mis sur orbite pas moins de quatre chefs d’Etat, huit premiers ministres et formé nombre de dirigeants d’institutions et de grandes entreprises.
Endogamie
Ses débuts, prestigieux, sont associés à la période de la reconstruction, durant laquelle une poignée de résistants a voulu rompre avec le népotisme qui régnait, avant guerre, dans les différents ministères. A l’apogée du Commissariat général du Plan, dans les années 1960, l’ENA a fourni à l’Etat ses meilleurs modernisateurs. Mais, au fil des années, son caractère pionnier s’est affadi au point qu’elle est devenue, aux yeux de ses détracteurs, le symbole de la coupure entre le peuple et l’élite.
Les enfants de cadres supérieurs y sont surreprésentés, les fils ou filles d’ouvriers quasiment absents. Il en résulte une endogamie renforcée par le classement de sortie, qui permet à une élite de prospérer dans l’entre-soi. Il suffit pour cela d’être dans la botte, cette quinzaine de places que le Conseil d’Etat, la Cour des comptes et les inspections réserve chaque année aux mieux classés du concours de sortie.
C’est au lendemain du mouvement des « gilets jaunes » qu’Emmanuel Macron avait fait la promesse de supprimer l’ENA. Le chemin était cependant étroit. Il fallait passer outre la résistance des grands corps sans donner le sentiment d’affaiblir le recrutement ni la qualité des futurs hauts fonctionnaires. Le résultat porte la marque de cette double contrainte : le classement de sortie n’est pas remis en cause ni l’existence des grands corps. En revanche, le déroulement des carrières est substantiellement revu. Il faudra avoir fait ses preuves plusieurs années sur le terrain avant de pouvoir prétendre rejoindre l’Olympe.
La mobilité entre les différentes administrations est érigée en principe de base, ce qui nécessite de donner un sérieux coup de fouet à la formation continue. Et, là où l’ENA ne formait chaque année que 80 hauts fonctionnaires, l’Institut du service public prendra en charge l’ensemble des élèves administrateurs et intégrera un tronc commun à 13 écoles de service public.
Les effets de la réforme ne pourront être réellement jugés que lorsque toutes les pièces du puzzle seront assemblées. Du moins peut-on faire crédit au chef de l’Etat d’avoir trouvé le ton juste pour la présenter. Loin de l’expédition punitive souhaitée par ses détracteurs, la suppression de l’ENA apparaît comme une tentative de renouveau de l’action publique au moment où le pays est de nouveau mis au défi de la reconstruction. La référence à 1945 est pertinente. Il faudra cependant bien d’autres étapes pour redorer le blason d’un Etat qui a été à la fois sur-sollicité pendant la crise et dénigré pour ses pesanteurs.
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