Chronique. On a usé et abusé de la métaphore guerrière au sujet du Covid-19. Nul doute que, lorsqu’il faudra en réparer les dégâts, l’idée d’un « plan Marshall » va également resurgir, ce fameux programme américain qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, a déversé sur seize pays européens dévastés 14,3 milliards de dollars de l’époque. Cela paraît peu comparé aux 750 milliards d’euros du plan de relance européen pour la période 2021-2027, mais si l’on rapporte la somme au produit national brut des pays concernés, ce serait aujourd’hui 800 milliards de dollars (674 milliards d’euros) !
Les sommes déversées actuellement par les Etats et banques centrales au secours d’une économie ravagée font l’objet d’intenses débats. Quelles priorités choisir ? Faut-il protéger l’existant ou construire l’avenir ? Qui va payer ? L’histoire du plan Marshall montre que ces polémiques avaient également cours à l’époque, bien qu’il ait été réduit a posteriori à une interprétation binaire : pour les uns, la bouée de sauvetage qui permit à l’Europe de l’Ouest d’entamer sa marche vers la prospérité ; pour les autres, le faux nez de la colonisation américaine.
Le Plan Marshall, de l’économiste et historien américain Benn Steil, qui vient d’être publié en français (Les Belles Lettres, 682 p., 26,90 €), rétablit toute la complexité de ce plan. On découvre ainsi que pour ses premiers initiateurs, issus de l’administration Roosevelt, il s’agissait avant tout d’un programme de sauvetage humanitaire pour secourir les populations européennes affamées et privées des produits de première nécessité, d’autant que voies ferrées, gares, ponts, ports sont partout à reconstruire. Mais les besoins sont tels que de simples subventions sont hors de portée du budget américain.
Compromis subtils
Aussi les conseillers économiques du président Truman préconisent-ils une aide financière destinée à être investie de façon planifiée par les gouvernements nationaux dans les infrastructures, l’agriculture et les usines, pour permettre aux Européens de produire eux-mêmes ce dont ils ont besoin.
Mais cette approche est férocement combattue par l’opposition républicaine et une partie de l’administration, qui y voient une expansion du dirigisme « socialiste » rooseveltien vers la vieille Europe libérale, et qui contestent, au nom du contribuable américain, l’utilité d’envoyer tant de dollars à l’étranger.
Il faudra de longues négociations et des compromis subtils pour convaincre le Congrès et les milieux d’affaires qu’une Europe en bonne forme importera plus de produits américains, en particulier grâce à l’effacement des droits de douane indispensable à la reprise des échanges intraeuropéens.
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