La revue des revues. Alors que l’enquête OpenLux menée par Le Monde vient de jeter un jour nouveau sur le paradis fiscal luxembourgeois, la dernière livraison de la revue Entreprises et histoire, consacrée aux « scandales financiers », ne pouvait pas mieux tomber. Il est rare qu’économistes et historiens s’intéressent à ces « à-côtés » de la grande histoire, qui ont pourtant eu des impacts non négligeables, comme lorsque le scandale de Panama ou l’affaire Stavisky ont manqué de peu d’emporter la IIIe République.
Tout l’intérêt de ce numéro est de montrer que le « scandale » n’en devient un qu’à plusieurs conditions : qu’une transgression morale ou légale, avérée ou pas (!), soit dénoncée publiquement – d’où le rôle essentiel des médias – et que cette dénonciation affecte un large éventail d’acteurs sociaux, au-delà des seuls professionnels ou magistrats.
Ainsi, les historiens luxembourgeois Benoît Majerus et Benjamin Zenner montrent comment les « scandales » de la faillite du fonds Investors Overseas Services en 1970 ou de la banque Ambrosiano en 1982 ne furent pas jugés comme tels au Luxembourg. Bien que ces deux institutions y aient eu leur siège, ni la presse ni la classe politique du Grand-Duché ne choisirent de s’en emparer, tant il fallait d’abord protéger la « place financière » menacée par la concurrence ou la crise économique. La proximité entre les professionnels de la finance, la presse financière, la classe politique et même la magistrature est l’un des principaux facteurs de… non-existence du « scandale ».
« Protéger l’épargnant »
Une remarque qui concerne également la Suisse, dont les auteurs soulignent la remarquable résilience, voire persistance, dans le maintien de pratiques financières pourtant régulièrement dénoncées par l’opinion et les autorités publiques, tant nationales qu’internationales. A vrai dire, les scandales financiers qui secouent la France dans l’entre-deux-guerres ne mèneront guère à de grandes réformes non plus, car la priorité des gouvernements est alors de « protéger l’épargnant », non de mettre fin aux dérives du système financier.
L’économiste Damien de Blic analyse le scandale du Crédit lyonnais, qui présente l’avantage de « courir » sur près d’un quart de siècle, entre 1994 et 2020, à la faveur de ses nombreux rebondissements et de la lenteur des procédures. C’est une occasion rêvée pour l’historien de voir comment « ce qui fait scandale » évolue au fil du temps. L’affaire, qui « éclate » en 1994, se traduit par des décisions de justice qui ont le mérite de livrer quelques boucs émissaires à la curiosité publique plutôt que le fonctionnement même du modèle bancaire français. Mais aucune réforme n’est prise, dans un contexte où le consensus financiaro-technocratique prône la déréglementation, la constitution de mégabanques mêlant spéculation et épargne, diversification et internationalisation à outrance. Autant de caractéristiques qui mèneront au krach mondial de 2008 et qui deviendront, par la suite, la matrice de tous les « scandales financiers » des années 2010.
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