Livre. Pourquoi les partis de gauche, qui prônent plus de redistribution, ne profitent-ils pas électoralement de la forte montée des inégalités que connaissent, depuis quarante ans, les pays démocratiques ? Du Royaume-Uni à l’Inde en passant par les Etats-Unis, la Turquie, la France, le Brésil, ce sont, au contraire, les partis nationalistes, les leaders populistes de droite et d’extrême droite, qui progressent d’élection en élection et parviennent même parfois au pouvoir.
C’est ce paradoxe qu’une vingtaine de chercheurs ont essayé d’expliquer en examinant à la loupe les panels des sondages post-électoraux dans cinquante pays de 1948 à 2020, concernant 500 élections au total. Les informations recueillies sur les personnes interrogées sur leur vote (âge, sexe, revenu, catégorie socioprofessionnelle, diplôme, origine, religion…) permettent, d’une part, de déterminer les corrélations respectives des facteurs socio-économiques (« classistes », disent les auteurs) et, d’autre part, les facteurs « identitaires » (origine, religion, âge, sexe) dans le choix politique.
Les chercheurs ont observé que si, jusque dans les années 1980, les électeurs de faible niveau d’éducation et de revenus votaient majoritairement à gauche et ceux de haut niveau d’éducation et de revenus votaient à droite, ce clivage de classe s’est modifié progressivement. Le choix politique des élites s’est partagé entre les personnes à haut niveau d’éducation, qui votent de plus en plus à gauche, et les personnes à haut niveau de revenu ou de patrimoine, en particulier dans les déciles les plus élevés, qui continuent de voter à droite.
Si le vote à gauche des personnes à bas revenus reste à peu près stable, celui des personnes à revenu faible ou moyen, et surtout celui des moins éduqués, s’oriente de plus en plus à droite. Sauf lorsque ces derniers appartiennent à des minorités ethniques ou raciales : elles continuent alors à voter à gauche (en majorité), alors que les personnes de même revenu et de même niveau d’éducation appartenant à l’identité majoritaire glissent de plus en plus vers la droite et le nationalisme.
Le phénomène est particulièrement net aux Etats-Unis et, avec des variations selon les pays, en Europe. En France, par exemple, ont voté à gauche lors des dernières élections les trois quarts des personnes dont les grands-parents étaient des étrangers originaires de pays non européens, la moitié de celles dont les grands-parents provenaient d’autres pays européens, et un peu plus d’un tiers de celles dont les grands-parents étaient français.
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