Entretien. Face à la violence des réseaux sociaux, faut-il repenser la liberté d’expression ? C’est ce que propose la philosophe Monique Canto-Sperber, autrice de Sauver la liberté d’expression (Albin Michel, 336 p., 21,90 euros) qui invite à en refonder les limites. La liberté d’expression ne signifie pas seulement le fait de pouvoir parler, affirme-t-elle, mais définit aussi la possibilité que l’autre puisse répliquer.
Comment analysez-vous les menaces qui pèsent aujourd’hui sur la liberté d’expression ?
La liberté d’expression était autrefois menacée par le pouvoir d’Etat et les autorités établies, en particulier religieuses. Aujourd’hui, elle est prise en otage par deux mouvements opposés. D’un côté on assiste, au nom de la liberté, à l’expression la plus extrême de la haine verbale, stimulée par l’extraordinaire diffusion des propos que permettent les outils numériques. De l’autre côté, on constate des phénomènes de censure inspirés par des courants sociaux extrêmement forts qui veulent imposer leur conception de ce qu’on peut dire et de ce qu’il faut taire.
Les pressions ne viennent plus tant d’autorités constituées identifiables que de groupes ou d’associations qui procèdent par intimidation, souvent de manière préventive, ce qui les rend difficiles à combattre.
N’est-ce pas le seul moyen pour cette contestation de se faire entendre alors que cette parole a été marginalisée dans le débat public jusqu’à présent ?
Dans les universités et plus largement dans la société, émerge la revendication d’un langage qui traduirait les valeurs d’un groupe de pression ou d’une culture, au prix d’un contrôle sur l’usage de certains termes. Des manières de parler peuvent être soupçonnées d’être des marques de mépris ou de manque de considération à l’égard de minorités.
Face à cela, il est nécessaire de rappeler que la langue est un élément neutre, elle n’a pas à refléter les valeurs morales de telle ou telle association militante, sans quoi elle ne permet plus le débat, mais servirait à s’enfermer dans le cercle de ses certitudes.
Le plus grand bienfait de la liberté d’expression, c’est de permettre la diversité des opinions, à l’exclusion des opinions délictueuses. Qu’on ait des convictions et qu’on les défende ardemment, bien sûr, mais on ne peut pas priver les autres de la possibilité de penser différemment. Ce n’est pas en faisant taire ses détracteurs que l’on montre la force de ses convictions. Il faut vouloir se confronter à une adversité pour défendre ses propres valeurs.
Il vous reste 72.04% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.