Chronique. « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limite ». La saillie prêtée à l’humoriste Pierre Dac est d’une inquiétante actualité. Les bornes, ce sont celles de l’Etat de droit, ces principes conquis au fil des siècles et réunis dans notre Constitution. Ces règles qui nous permettent de régler pacifiquement nos contentieux et d’ajuster le fragile équilibre entre libertés et sécurité.
Lorsque Guillaume Peltier, numéro deux des Républicains, propose de recréer une juridiction d’exception, pour « placer en rétention de sûreté » des individus radicalisés « sur la base de soupçons avérés » et « sans appel possible », il fait passer par perte et profit les principes fondamentaux de notre droit que sont le débat contradictoire, la présomption d’innocence et le droit de faire appel. Lorsque des policiers, lors du rassemblement devant l’Assemblée nationale, proclament que « le problème de la police, c’est la justice », ils feignent d’oublier que le contrôle du policier par un juge indépendant est l’apanage de l’Etat de droit, alors qu’une police sans garde-fou et des magistrats aux ordres caractérisent un Etat totalitaire.
Longtemps, la notion d’« Etat de droit » a été utilisée pour désigner ce qui « nous » distingue des pays autoritaires. Ainsi, le bénéfice des milliards du plan de relance post-Covid de l’Union européenne va être conditionné au « respect de l’Etat de droit », au grand dam de la Hongrie et de la Pologne. Car l’Union européenne est « fondée » sur « les valeurs de l’Etat de droit », en vertu de son traité constitutif. L’histoire du continent devrait nous avoir appris la valeur de principes comme la protection contre l’arbitraire, la séparation des pouvoirs ou le principe de légalité, autrement dit la soumission de l’administration aux lois qui doivent elles-mêmes respecter la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme.
Peines rétroactives
Pourtant, sous la pression de l’extrême droite, l’idée progresse selon laquelle l’Etat de droit constitue non pas une protection, mais un carcan. François Bersani, du syndicat Unité-SGP Police, souhaite que « les digues, c’est-à-dire les contraintes de la Constitution, de la loi, cèdent ». Quant au polémiste Eric Zemmour, il affirme qu’on ne protège pas les Français à cause de « ce qui est pompeusement appelé l’Etat de droit ». Un Etat de droit qui protège la liberté d’expression de ce récidiviste de la provocation à la haine.
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