Editorial du « Monde ». « Les jeux de la reconstruction ». Lorsque Tokyo a été choisi en 2013 pour accueillir les XXXIIe Jeux olympiques (JO) d’été, le slogan s’était imposé naturellement, deux ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima. Par cette expression, le premier ministre de l’époque, Shinzo Abe, voulait que l’événement soit le symbole de la renaissance d’une région durement frappée par le tsunami. Mais la pandémie a fini par éclipser le message. Entre le report d’un an des compétitions, la défiance de la population japonaise, qui a le sentiment que ces JO sont organisés malgré elle, et des épreuves qui se dérouleront à huis clos, la fête est gâchée avant d’avoir commencé.
Pourtant, de reconstruction, les JO n’en auront jamais eu autant besoin. Tokyo sera certainement le théâtre de performances exceptionnelles et de moments d’émotion que seuls les Jeux sont capables d’engendrer. Mais il faut se rendre à l’évidence : la magie de l’olympisme n’opère plus comme avant. L’instrumentalisation politique de l’événement, les scandales à répétition sur le dopage et la corruption, l’influence grandissante des enjeux financiers ont fini par dénaturer l’esprit des Jeux. La célèbre devise du baron Pierre de Coubertin, « plus vite, plus haut, plus fort », modernisée récemment par l’ajout du mot « ensemble », s’est transformée en « plus coûteux, plus contesté, plus politique ».
Concernant les coûts, la course au gigantisme a depuis longtemps atteint ses limites. Depuis Montréal 1976, l’exercice tourne au cauchemar financier pour la plupart des villes hôtes. Tokyo n’échappera pas à la règle avec un quasi-doublement du budget prévu, ce qui en fait l’une des éditions les plus coûteuses de l’histoire. Le contexte sanitaire a joué, mais il n’explique pas tout. Le Comité international olympique (CIO) avait promis de freiner l’emballement en promouvant des Jeux plus sobres, plus verts et plus utiles à la population locale. Ce ne sera pas encore pour cette fois.
Fardeau et désagréments
Cette dérive a déjà des conséquences très concrètes. Pendant longtemps, l’attribution des JO faisait l’objet d’une concurrence féroce. C’est terminé : les villes qui accueilleront les trois prochaines éditions – Paris, Los Angeles et Brisbane – étaient seules en lice. Le CIO veut à la fois sélectionner des villes disposant déjà d’infrastructures par souci financier et écologique, mais souhaite dans le même temps ouvrir l’olympisme à de nouveaux pays. Une quadrature du cercle.
Autrefois motif de fierté pour les habitants de la métropole sélectionnée, l’événement est devenu synonyme de fardeau et de désagréments. Quant aux audiences télé, principale source de recettes pour l’olympisme, elles sont vieillissantes et déclinantes.
Le CIO est bien conscient qu’il convient de changer avant d’être changé par son environnement. Déjà, le skate, le surf ou l’escalade sont devenus des disciplines olympiques pour attirer un public plus jeune. Lors de sa réélection à la présidence, en mars, l’Allemand Thomas Bach a lancé son Agenda 2020+5, une profession de foi composée d’une quinzaine de préconisations hétéroclites censées ancrer davantage l’olympisme dans son époque. La démarche est louable, mais elle reste floue et très générale.
Les Jeux de Paris en 2024 seront un test sérieux pour évaluer la sincérité du CIO. L’objectif affiché par Tony Estanguet, le président du comité d’organisation, consiste à faire de Paris 2024, non pas la XXXIIIe édition des Jeux d’été, mais la première d’un nouveau cycle. Il faudra certainement plus de trois ans pour commencer à réenchanter l’olympisme.
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