Tribune. Le 25 juillet, le président tunisien, Kaïs Saïed, annonçait le gel des activités du Parlement, la levée de l’immunité parlementaire, et démettait de leurs fonctions le directeur de cabinet du chef du gouvernement, le secrétaire général du gouvernement et tous les ministres attachés à la présidence du gouvernement. Il interdisait également l’accès au siège du gouvernement, fonctionnaires compris.
Le 24 août, Kaïs Saïed a prolongé la suspension du Parlement. Le 22 septembre, par le biais d’un décret, il s’est arrogé les pleins pouvoirs, en dehors de toute légalité. Symbole du coup de force, l’armée a pris place devant le Parlement, le palais présidentiel de Carthage et le palais du gouvernement, pour mieux contenir les ambitions contestataires. La Tunisie, berceau du « printemps arabe », est ainsi en proie à une captation du pouvoir, au service d’une politique réactionnaire, qui appelle une réaction énergique de la communauté internationale. La nomination, le 29 septembre, de Najla Bouden au poste de première ministre, avec un champ de compétences réduit, ne rompt pas avec la dérive autocratique du régime dont elle est, au contraire, le prolongement.
Rétablissement d’une justice d’exception
Par une interprétation qui lui est propre, le président tunisien s’est réfugié derrière l’article 80 de la Constitution permettant d’imposer un état d’exception, en cas de « péril imminent ». De nombreux constitutionnalistes s’accordent cependant à dire que rien ne justifie un tel accaparement du pouvoir et une telle mise à l’écart des parlementaires, pourtant démocratiquement élus. Ils dénoncent une interprétation délibérément faussée de la norme suprême.
« Les mesures employées promettent désormais le retour à une forme d’âge de pierre intellectuel, rompant avec les idéaux portés par la révolution de 2011 »
Ce véritable putsch, à la faveur d’une intervention militaire, s’est accompagné de mesures censées éradiquer la corruption. L’opération « mains propres » du chef de l’Etat s’est ainsi concrétisée par des arrestations de députés, des assignations à résidence, des interdictions de sortie du territoire, notamment sur le fondement de la « procédure S17 » [fichage instauré au nom de la lutte antiterroriste].
Cas emblématique, l’ancien président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) Chawki Tabib, engagé dans la défense des droits humains, a ainsi fait l’objet d’une mesure d’assignation à résidence. Dans le même temps, le président tunisien rétablit progressivement une justice d’exception avec la résurgence du tribunal militaire, neutralisant toute justice indépendante. Les intellectuels, défenseurs des droits humains ou avocats qui ont eu le malheur d’émettre un doute sur les intentions du président tunisien ont été la cible d’une mise à l’index, dont les réseaux sociaux sont notamment le terrain, dans un contexte de persécutions.
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