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« A l’inverse de Donald Trump, Joe Biden fait le choix de la rareté, du calme, jusqu’à l’ennui »

« Avec ses hausses d’impôts, le président américain fait un pari risqué, mais potentiellement révolutionnaire », analyse Gilles Paris, correspondant du « Monde » à Washington.

Le Monde

Publié le 29 avril 2021 à 20h55, modifié le 29 avril 2021 à 21h56

Temps de Lecture 7 min.

Le président des Etats-Unis, Joe Biden, entouré de sa vice-présidente, Kamala Harris, et de la speaker de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, à Washington, le 29 avril 2021.

Correspondant du Monde à Washington, Gilles Paris a répondu aux questions des internautes sur le bilan des cent premiers jours de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis et sur les défis qui attendent le démocrate.

Observateur curieux : En voulant remettre l’Etat fédéral au cœur du jeu, Biden ne va-t-il pas réveiller les antagonismes qui remontent aux premiers pas de l’histoire des Etats-Unis ?

Gilles Paris : Il est exact que le retour au « big government » souhaité par Joe Biden peut potentiellement raviver des tensions, mais elles semblent plus à voir avec la révolution conservatrice reaganienne et la taille de l’Etat-providence qu’avec les débats liés au dixième amendement sur les compétences de l’Etat fédéral par rapport à celles des Etats.

Joe Biden propose des programmes qui s’ajoutent à ce qui existe déjà. Quel gouverneur républicain pourrait, par exemple, s’opposer à la généralisation des maternelles ou à la création des congés maladie assumées par l’Etat fédéral, alors qu’il s’agit de mesures très populaires dans l’opinion ?

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Vienna Logan : Biden est-il si révolutionnaire que cela ? N’est-ce pas un effet d’optique ?

La politique de Donald Trump était, en fait, assez indéfinissable. Elle comportait des éléments classiquement républicains, comme les baisses d’impôts, mais conjugués avec l’engagement de ne pas toucher aux dépenses sociales, ce que démentait pourtant la croisade contre l’Obamacare.

Donald Trump n’a observé aucune discipline fiscale, y compris avant la pandémie, et il a assumé pendant la crise sanitaire la signature de chèques adressés directement aux Américains (agrémentés de sa signature), soit une parfaite hérésie pour un conservateur fiscal classique.

Le côté révolutionnaire de Joe Biden, même si on peut bien évidemment discuter le terme, réside dans sa volonté de revenir à un « big government » financé par des hausses d’impôts, alors qu’elles étaient synonymes de suicide politique il n’y a pas si longtemps. C’est un pari extrêmement risqué, mais potentiellement révolutionnaire au regard des quarante dernières années de politique publique américaine.

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Cyrano : Quelle part des annonces de Joe Biden demanderait une majorité qualifiée ?

Aucune, et c’est pourquoi il a concentré la majeure partie de son discours sur son plan « emplois » – l’autre nom donné aux investissements massifs envisagés dans les infrastructures matérielles comme immatérielles –, et sur son plan « famille ». Parce qu’ils comportent des dispositions fiscales, il peut, en effet, se contenter de la majorité simple dont il dispose au Sénat, où tout va se jouer, en profitant de la procédure dite de « réconciliation » qui le permet. Il a déjà reçu le feu vert de la fonctionnaire parlementaire indépendante qui en est l’arbitre.

Il est peu probable que le Parti républicain, aiguillonné à distance par Donald Trump, s’engage dans une vraie négociation. La contre-proposition faite pour l’instant par les sénateurs républicains sur les infrastructures ne peut pas véritablement être considérée comme sérieuse.

Il lui faut cependant obtenir désormais le soutien unanime des sénateurs démocrates, ce qui signifie qu’il va devoir convaincre les centristes, Joe Manchin et Kyrsten Sinema, de la pertinence de ses choix. Ce n’est pas acquis et il est très possible que les propositions soient revues à la baisse, tout comme leurs financements par les impôts.

Le président des Etats-Unis, Joe Biden, à Washington, le 29 avril 2021.

Sol75 : Trump a-t-il les moyens aujourd’hui de forcer les républicains à s’opposer pied à pied à la politique de Biden ? Si oui, quels sont les domaines de contestation les plus problématiques ?

Donald Trump conserve une énorme influence sur le Parti républicain parce qu’il reste notamment le principal moteur de la collecte de fonds de campagne. Enfermé dans ses théories du complot à propos de la prétendue fraude électorale qui lui aurait coûté sa réélection, il campe dans une posture d’opposition frontale, absolue.

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Au Sénat, les républicains, qui sont en théorie plus imperméables à ses pressions, sont opposés aux projets de Joe Biden pour des raisons idéologiques puissantes : par hostilité à tout accroissement de l’Etat-providence et par attachement farouche au principe des baisses d’impôts.

Cette conjonction d’oppositions laisse peu de marges pour la négociation sur les projets d’investissement et aucune pour les sujets sociétaux qui relèvent du fétichisme pour les conservateurs, comme les armes à feu ou l’avortement. Il pourrait y avoir des exceptions, pour le sort des sans-papiers arrivés enfants aux Etats-Unis, les Dreamers, peut-être aussi en termes de réformes des pratiques policères. Mais les chances sont minces dans le contexte de polarisation sans précédent qui paralyse Washington.

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Arnaud : La situation à la frontière mexicaine, avec l’afflux de migrants, semble toujours aussi compliquée, même si les médias semblent moins en parler (en tout cas les médias européens). Quelles mesures Biden a-t-il mises en place ?

La vague d’arrivées à la frontière a sans doute été provoquée par un message ambigu de l’administration Biden, qui s’est présentée à la fois comme le contraire de Donald Trump, et qui a vanté son respect des valeurs humaines, tout en exhortant les sans-papiers à rester chez eux.

Elle a été prise de court par l’afflux mais il s’agit d’un nouveau cycle qui devrait s’achever avec l’arrivée des fortes chaleurs, qui rendent ce voyage encore plus périlleux, et par la mise en place d’une meilleure coopération avec le Mexique et les pays de départ. Mais le problème restera entier faute de la capacité du Congrès d’adopter une réforme globale de l’immigration impérative depuis plus d’une décennie.

Pour ce qui concerne le « mur », dont il a promis qu’il ne lui ajouterait pas un mètre supplémentaire, on attend toujours le plan qui a été promis. Joe Biden est revenu sur les réallocations de fonds du Pentagone qui ont permis le financement de la majorité des travaux, au nom d’une déclaration d’urgence nationale qui a été annulée, mais il n’a aucun pouvoir sur les fonds votés par le Congrès. Mercredi, il a évoqué un « mur intelligent » reposant sur des dispositifs électroniques. Il est très probable que le « mur » physique dont Donald Trump était si fier ne sera jamais achevé.

Lire notre reportage : Article réservé à nos abonnés De Donald Trump à Joe Biden, le mur antimigrants en suspens

madmaxxx : Quels sont les réels engagements de Joe Biden vis-à-vis de l’écologie dans ce discours-bilan ?

Les engagements en matière d’environnement dépendent en bonne partie de la capacité de la nouvelle administration à faire adopter ses projets d’investissements. Joe Biden a déjà adopté des mesures concrètes, comme le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris contre le réchauffement climatique ou l’annulation de dérégulations anti-environnement décidées par Donald Trump.

Buber : Pourquoi y a-t-il autant de continuité entre la politique étrangère de Trump et celle de Biden ?

La politique étrangère a pour but principal de défendre les intérêts d’un pays et ceux-ci changent rarement de manière radicale d’une présidence à l’autre. Des ruptures sont pourtant manifestes en matière d’alliances, de défense de valeurs, ou de multilatéralisme. Joe Biden, contrairement à Donald Trump qui adhérait sans doute en partie par paresse et en partie de manière instinctive à un relativisme érigé en système, pense que les intérêts de son pays sont mieux préservés avec ces outils que sans.

Il pense aussi, contrairement à la tentation insulaire (plutôt qu’isolationniste) de son prédécesseur, que les défis auxquels les Etats-Unis sont confrontés demandent une réponse globale comme le montre la lutte contre la pandémie en cours. Il pense aussi que la diplomatie est utile, notamment pour obtenir en Iran le contrôle du programme nucléaire iranien.

Les deux hommes voient de la même manière la Chine comme le principal défi à la puissance américaine, mais ils y répondent de manière totalement différente. Pour Donald Trump, obsédé par le déficit commercial, un succès se traduisait par des tonnes de soja vendues à Pékin, aussi pour complaire aux agriculteurs électeurs de l’Iowa. Sur la Chine, Joe Biden parle de défi technologique, de recherche-développement, d’intelligence artificielle, ce dont son prédécesseur se souciait comme d’une guigne.

Lorenzaccio : En tant que journaliste, qu’est-ce qui a changé ? Est-ce que vous constatez une plus grande transparence, par exemple ?

Donald Trump avait fait de sa présidence une séquence de télé-réalité dans laquelle il était au centre de toute chose, dictant en permanence d’agenda par ses messages sur les réseaux sociaux, y compris par rapport à une administration régulièrement prise de court et dépassée par les événements. La presse était divisée en deux camps : les amis chez lesquels il était omniprésent, à commencer par la puissante Fox News, et les ennemis. L’affrontement avec les seconds constituait d’ailleurs un ressort de sa présidence.

Joe Biden fait le choix inverse : celui de la rareté, du calme, jusqu’à l’ennui. La parole présidentielle est pensée et maîtrisée, au point que l’administration est parfois prise de court face à l’imprévu, comme la crise à la frontière mexicaine. Les relations sont dépassionnées, professionnelles, mais ce souci de maîtrise est évidemment un obstacle : on se heurte pour l’instant aux éléments de langage, alors que la pétaudière qu’était l’administration Trump alimentait les « fuites » à jet continu. Cette imperméabilité va probablement alimenter une frustration croissante parmi les médias qui ont initialement apprécié de ne plus être traités d’« ennemis du peuple », un qualificatif dont on a sous-estimé la violence.

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