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Corine Sombrun, de la transe chamanique à la science

Première Occidentale à avoir reçu, à l’issue d’une longue formation, le titre de chamane en Mongolie, Corine Sombrun se consacre à mettre la pratique de la transe au service des scientifiques qui en étudient le potentiel thérapeutique et les effets sur le cerveau.

Par Catherine Barry

Publié le 09 mai 2021 à 08h00, modifié le 16 septembre 2021 à 20h34

Temps de Lecture 5 min.

Corine Sombrun

Corine Sombrun sera l’invitée du Festival du Monde et participera à la table ronde « Sens dessus dessous », dimanche 26 septembre à l’auditorium du Monde. Les places sont disponibles ici.

Pandémie oblige, notre rencontre est virtuelle. Corine Sombrun se raconte avec la simplicité que procure la force d’une expérience dans le tréfonds de l’être. C’est la douleur de perdre l’un de ses proches d’un cancer qui la propulse dans « un monde plus grand »titre du film qui raconte son itinéraire singulier –, bien plus vaste que tout ce qu’elle pouvait imaginer. S’ensuivent vingt années où le doute et les difficultés côtoient l’engouement de vivre cette aventure étonnante, au cœur de ses potentialités.

Un parcours sur lequel elle revient dans La Diagonale de la joie, qui vient de sortir chez Albin Michel. De page en page, elle nous entraîne sur des sentiers qu’aucun Européen n’a parcourus avant elle, tout en proposant un autre rapport au vivant.

Esprit du loup

C’est en 2001 que son périple débute en Mongolie, où la jeune ethnomusicologue réalise un reportage pour la BBC World Service. Assistant à une cérémonie chamanique, le son du tambour déclenche en elle une transe : elle perd alors totalement le contrôle de ses mouvements. L’esprit d’un loup, dit-elle, « la pénètre » spontanément. Elle a la sensation de se transformer en louve, d’avoir des griffes, un museau animal. Le chamane Balgir, qui préside la cérémonie, reconnaît en elle « l’étincelle chamanique » et la presse de développer son don avec une chamane tsaatan, Enkhetuya, « pour moins souffrir » du deuil qu’elle traverse. Elle accepte.

Pendant huit années, l’apprentie chamane partage son temps entre la Mongolie, à la frontière de la Sibérie, et l’Europe. Une formation particulièrement exigeante au terme de laquelle elle devient la première Occidentale à accéder au statut d’udgan – terme qui désigne les femmes ayant reçu le don et l’initiation aux traditions chamaniques mongoles.

Très vite, elle remarque certaines caractéristiques de la transe. « Je pouvais sortir à tout moment de cet état, j’avais plus de force, je ne ressentais quasiment pas la douleur ». Ces expériences auraient pu la déstabiliser. Mais la jeune femme, convaincue « de ne pas être dingue », décide de se donner les moyens de comprendre ce qui se passe dans son cerveau.

Transe auto-induite

Si les réticences des scientifiques retardent son projet, son obstination finit par payer. En 2006, le Dr Pierre Etevenon, directeur de recherches honoraire à l’Inserm, accepte de collaborer avec elle. Il la met en contact avec le neuropsychiatre Pierre-Flor Henry, de l’Alberta Hospital d’Edmonton, au Canada, qui établit avec elle un protocole de recherche. Dix ans plus tard, ils pourront enfin présenter leurs résultats dans une publication scientifique. Selon ces données, la transe modifie les circuits du fonctionnement cérébral.

Pendant huit années, l’apprentie chamane partage son temps entre la Mongolie et l’Europe

Dans le même temps, pour répondre aux défis posés par les scientifiques et pouvoir réaliser des tests en laboratoire, Corine Sombrun apprend à déclencher la transe par sa seule volonté et à améliorer sa technique, en dehors du contexte traditionnel de cette pratique. Les mécanismes physiologiques liés à l’influence de la transe auto-induite sur les hémisphères cérébraux sont alors mis en évidence.

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L’année 2019 marque un tournant important : avec le professeur Francis Taulelle, directeur de recherche émérite au CNRS et professeur à l’université catholique de Louvain, la chamane crée le Trance Science Research Institute, s’appuyant sur une équipe internationale de chercheurs de diverses spécialités. La structure travaille en particulier avec le professeur Steven Laureys, neurologue spécialiste de la conscience au CHU de Liège (Belgique), qui a mis en place un premier protocole sur une cohorte de 27 « transeurs ». Les premières conclusions de l’étude s’intéressant aux effets conjoints de la transe, de la méditation et de l’hypnose sur le cerveau, montrent que dans les trois cas, il s’agit « d’états modifiés de conscience avec des différences et des similitudes, dans lesquels rien n’est fixe » ; la transe est donc un potentiel du cerveau, au même titre que l’état méditatif.

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Il convient dès lors d’affiner l’enquête, en observant plus précisément, pendant quatre ans, les effets de l’apprentissage de la transe auto-induite sur la gestion émotionnelle, les douleurs et la fatigue chez des patients ayant eu un cancer – et de les comparer aux effets de l’apprentissage de l’autohypnose ou de la méditation. Plus de 90 % des volontaires expérimentent la transe dès la première écoute – ce qui n’est certes pas suffisant pour devenir un « transeur » aguerri.

Le professeur Steven Laureys a mis en place un premier protocole sur une cohorte de 27 transeurs

L’autre priorité est de former des chercheurs-soignants pour qu’ils proposent des applications thérapeutiques adaptées à leur domaine de spécialité. « On leur donne les règles, l’éthique, ainsi que les bornes à respecter pour ne pas dévier », précise la spécialiste. A partir de la rentrée de septembre 2021, un diplôme universitaire accessible en deux ans sera également proposé à l’université Paris 8.

Dissolution du « je »

Mais les modifications provoquées par la transe sur les hémisphères cérébraux ne se limitent pas à leur potentiel thérapeutique. Elles induiraient par ailleurs une perception différente de l’environnement. « La notion de “je”, d’autocentrage étant diminuée, on a l’impression que tout s’ouvre autour de nous. Des perceptions, des sensations mettent un éclairage sur des choses jamais explorées en nous. Les relations au vivant changent, le vivant nous apprend », précise Corine Sombrun, qui décrit des formes de partage inédites avec l’environnement. Une telle symbiose pourrait contribuer, espère-t-elle, à poser les bases d’une écologie plus responsable.

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Depuis sa première connexion avec « l’esprit d’un loup », l’expérience de la transe a fortement transformé la jeune femme. Cette évolution, explique-t-elle, s’adapte en fonction des besoins psychiques ou physiques de chaque personne. « Quand des scènes douloureuses sont revécues, elles le sont avec une distance permettant de les traverser et de les transformer. On se raccorde de manière singulière avec soi-même et avec le monde. On devient de plus en plus ce que l’on est. Et cela ouvre la porte à des changements de vie assez radicaux », sourit-elle.

Emancipée du chamanisme, la transe cognitive peut nous donner accès à une « réalité augmentée ». En inversant la relation que nous avons avec le vivant, estime Corine Sombrun, elle propose une vision du monde qui participe modestement à inventer un nouveau paradigme de société, à l’heure où les défis ne manquent pas.

Corine Sombrun est l’autrice de plusieurs ouvrages, parmi lesquels Journal d’une apprentie chamane (2002) et Mon initiation chez les chamanes (2004), qui a été adapté au cinéma sous le titre « Un monde plus grand », avec Cécile de France. Dernier livre paru : La Diagonale de la joie (Albin Michel, 2021).

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