Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Une amitié conjugale : Jane et Paul Bowles

Par René de Ceccatty

Publié le 25 août 2005 à 14h44, modifié le 25 août 2005 à 14h44

Temps de Lecture 3 min.

Dans ses Mémoires d'un nomade (1), Paul Bowles évoque ainsi sa rencontre avec Jane Auer, en 1937 : "Un soir où il pleuvait, Touche -le librettiste John LaTouche- me demanda de venir le rejoindre dans le hall du Plaza. Je l'y trouvai en compagnie d'Erika Mann -la fille aînée de Thomas Mann- et d'une jolie rousse au nez pointu." Un an plus tard, ce musicien dilettante qui commençait à se faire un nom à Broadway, cet ami de Gertrude Stein et d'Aaron Copland, allait donner son patronyme à la jolie rousse. Après un voyage de noces au Mexique, les choses étaient à peu près claires entre ces deux homosexuels, dont le mariage aurait pu n'être qu'un accommodement social et artistique, entre ces deux mondains en vogue, qui se stimulaient et s'entraidaient. Ce fut davantage, comme en témoigne leur correspondance, si lacunaire soit-elle (pour la plupart, les lettres de Paul ont été perdues).

Jane acquit une notoriété littéraire avant Paul. Le nom de Bowles fut donc, d'une certaine manière, le sien avant d'être celui de son mari. En 1943 paraissait son unique roman, Deux dames sérieuses (2). Jane Bowles avait déjà presque tout donné et s'en désespéra. Elle qui au départ n'aimait ni le Sud, ni le monde arabe, fut entraînée par son mari à Tanger, où elle connut des passions féminines et sombra, à la suite d'une attaque cérébrale, en 1957, dans une sorte de folie, liée autant à son aphasie qu'à des névroses plus profondes. Internée en Espagne, elle y mourut en 1973, à l'âge de 55 ans.

Mais elle publia régulièrement, dans des revues de mode prestigieuses (essentiellement Harper's Bazaar ), quelques nouvelles et des extraits de son unique pièce, Sa maison d'été (3), qui fut finalement montée à la fin 1953 à Broadway. Ce fut un échec critique et commercial, malgré la présence de Judith Anderson, comédienne de cinéma et de théâtre alors renommée (c'est l'inoubliable gouvernante, Mrs Danvers, du Rebecca de Hitchcock).

L'équilibre du couple s'était rapidement inversé : le musicien de scène qu'était Paul Bowles était devenu un écrivain mythique, avec Un thé au Sa hara (4), paru en 1949. Paul a continué ses collaborations musicales au théâtre et dialoguées au cinéma (Senso de Visconti). Mais que s'est-il passé entre eux ? Si, pour Paul, la séduction du Maroc et de ses habitants (il tombe amoureux d'un peintre dont il va soutenir la carrière et il va cosigner de nombreux livres avec de jeunes écrivains qu'il aide ou traduit) est immédiate, celle de Jane sera plus lente. Son renoncement à l'univers new-yorkais de personnes riches, célèbres et créatrices est beaucoup plus spectaculaire. La folie amoureuse que lui inspire une jeune Tangéroise (d'une dizaine d'années sa cadette), Chérifa, l'initie à un monde qu'elle ne contrôle plus. Mais elle en est d'autant plus fascinée.

"À LA LISIÈRE"

Elle qui espérait surpasser Carson McCullers fut vouée à vivre à l'ombre de son mari. Dans une longue lettre de 1947, avant son départ pour Tanger, elle écrivait à Paul, qui l'attendait : "J'aimerais tellement rencontrer encore une femme pour ne pas toujours rester seule dans la nuit. Je suis sûre que la vie arabe ne m'intéressera pas le moins du monde." Six mois plus tard, installée à Tanger, elle se ravisera : "La vue sur la ville arabe depuis ma fenêtre est pour moi une source de plaisir infini. Je ne peux cesser de regarder et c'est peut-être la première fois de ma vie que je puise une telle joie dans une expérience purement visuelle." Elle se dira "à la lisière" de ce monde auquel pourtant désormais elle appartient. C'est bien à la lisière du monde et de la littérature, en effet, que va la laisser son accident cérébral. Elle ne trouve plus les mots, ni pour parler, ni pour lire, ni pour écrire. " C'est vraiment là qu'est la tragédie, annonce-t-elle de New York, où l'on tente de la soigner, s'il y en a une à moins que ce ne soit simplement le fait que je n'aime pas écrire de toute façon."


LETTRES, 1946-1970

de Jane et Paul Bowles

Traduit de l'anglais (Etats-Unis)

par Elizabeth Peelaert.

Préface de Michel Bulteau,

Hachette-Littératures, 316 p., 22 €.

(1) "Points", Seuil, 1994, no R659

(2) 10/18, no 1782.

(3) éd. Christian Bourgois, 1995.

(4) Gallimard, "L'imaginaire", 1987, no 62.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.