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Mark Rothko, théoricien de son art

Le peintre américain Mark Rothko (1903-1970), qui confiait à l'écrivain John Hurt Fischer son dégoût des textes sur l'art, a pourtant lui-même cédé aux mêmes démons : La Réalité de l'artiste, un écrit théorique exhumé cinquante ans après sa rédaction par son fils Christopher.

Par Harry Bellet

Publié le 27 octobre 2005 à 17h07, modifié le 27 octobre 2005 à 17h07

Temps de Lecture 3 min.

"Je hais et je me méfie de tous les historiens d'art, des experts, des critiques. C'est une bande de parasites qui mangent sur le dos de l'art. Leur travail n'est pas seulement inutile, il est aussi trompeur. Ils ne peuvent rien dire qui soit digne d'être écouté sur l'art ou les artistes, à part des anecdotes personnelles ­ qui sont pafois, je vous l'accorde, intéressantes." Le peintre américain Mark Rothko (1903-1970), qui confiait à l'écrivain John Hurt Fischer son dégoût des textes sur l'art, a pourtant lui-même cédé aux mêmes démons : La Réalité de l'artiste, un écrit théorique exhumé cinquante ans après sa rédaction par son fils Christopher, qui en a rédigé la préface, a été publié en 2004 aux Editions Flammarion (Le Monde du 9 novembre 2004). Le même éditeur livre aujourd'hui un volume d'Ecrits sur l'art, rédigés entre 1934 et 1969, dont la plupart inédits. Notes de conférences, brouillons d'articles, et surtout une importante correspondance avec le peintre Barnett Newman et des lettres à Katharine Kuh, conservatrice à l'Art Institute of Chicago, en constituent l'essentiel.

"ENVIRONNEMENTS" AVANT LA LETTRE

Cette dernière série ­ - treize lettres ­ - est d'ailleurs en tous points remarquable. En 1954, Katharine Kuh proposa à l'artiste une exposition. Elle se tint du 18 octobre au 31 décembre 1954, et, précise Miguel Lopez-Remiro, préfacier de l'ouvrage, fut la première que lui consacra un musée important. Elle fut l'occasion pour Rothko de donner quelques explications sur son art, comme dans cette lettre du 14 juillet 1954 : "Je pense pouvoir dire avec un certain degré de vérité qu'en présence de mes peintures, mes préoccupations sont essentiellement morales, et qu'il n'y a rien dans lequel elles semblent moins engagées que l'esthétique, l'histoire ou la technologie..." Et d'ajouter, le 25 septembre, quelques éléments qui contredisent en partie ce que l'on croyait savoir jusque-là sur ses choix en matière d'accrochage : "Comme mes tableaux sont grands, colorés et sans cadre, et comme les murs des musées sont habituellement immenses et redoutables, le danger existe que les tableaux se relient aux murs à la manière de zones décoratives. Ce serait une déformation de leur signification, puisque les tableaux sont intimes et intenses, et sont à l'opposé de ce qui est décoratif ; et qu'ils ont été peints à l'échelle de la vie normale plutôt qu'à une échelle institutionnelle." Rothko recommande donc de "saturer" la pièce de toiles, en commençant par les plus grandes, et en les accrochant bas, "le plus près du sol" qu'il est possible, imaginant ainsi de véritables "environnements" avant la lettre.

On apprend aussi, incidemment, que le musée prenait une commission de 20 % sur les ventes éventuelles. A la même époque, en France, les conservateurs s'interdisaient de présenter une exposition monographiques d'artistes vivants, pour ne pas influer sur leur cote.

Non sans ironie, cette correspondance est immédiatement suivie du brouillon d'un essai intitulé "Quand on commence à spéculer...". Il ne s'agit pas de marché de l'art, mais d'un essai sur Nietzsche et les dieux grecs, qui rappelle à propos que Rothko était aux antipodes de l'antienne tendant à présenter les artistes américains comme des brutes dégoulinantes de peinture. Malgré des études abrégées, il était probablement un des peintres de l'école de New York les mieux pourvus en matière théorique, et s'intéressait fortement à la philosophie. Avec une prédilection pour Platon, Nietzsche et Kierkegaard, et des écarts coupables vers la tragédie grecque et les pièces de William Shakespeare. En témoignent ces lignes consacrées à Apollon : "Apollon est peut être le dieu de la sculpture. Mais au fond, il est aussi le dieu de la lumière, et dans l'éclat de splendeur non seulement tout est illuminé, mais à mesure que l'intensité augmente, tout est également balayé. Voici le secret dont je me sers pour contenir le dionysiaque dans un éclat de lumière..."


ÉCRITS SUR L'ART. 1934-1969 de Mark Rothko. Présentation et notes de Miguel Lopez-Remiro. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claude Bondy. Flammarion, 254 p., 22 €.

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