« La Diablesse dans son miroir » (La diabla en el espejo), d’Horacio Castellanos Moya, traduit de l’espagnol (Salvador) par André Gabastou, Métailié, « Suites », 156 p., 9 €.
« Les Lumières de Tel-Aviv », d’Alexandra Schwartzbrod, Rivages poche, « Petite bibliothèque », 368 p., 9,20 €.
« Méfiez-vous des morts » (Never Count Out the Dead), de Boston Teran, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Frank Reichert, Gallmeister, « Totem », 512 p., 11,90 €.
Il y a pas mal d’endroits sur notre planète où il ne fait pas bon vivre. Le choix est vaste. Commençons par le Salvador, ravagé par la guerre civile, la corruption et la pauvreté. « Un puits de merde. » La belle Olga Maria a été assassinée et la respectabilité postiche des bourgeois salvadoriens vole en éclats. Sa « meilleure amie », Laura, poule-hyène sans tête mais bouffie de fiel, nous inonde de sa frénésie et de sa furieuse bêtise. La Diablesse dans son miroir, d’Horacio Castellanos Moya, est une farce, comme la politique et les institutions sont des farces au Salvador. L’auteur épouse à chaque livre le regard et la parole de son narrateur. Parfois la voix est celle d’un quasi-muet, comme pour Robocop, le tueur dénué de tout affect, un ancien des escadrons de la mort qui était le protagoniste de L’Homme en arme, et que l’on retrouve ici en ombre tueuse. Parce que les romans de Castellanos Moya forment une constellation. Il élabore brillamment, de livre en livre, un cosmos de l’horreur latino-américaine – sa violence grimaçante, sa tragédie, son grotesque et sa paranoïa – en un long monologue hurlant.
On le sait bien, les nobles causes sont salissantes. Dans Les Lumières de Tel-Aviv, d’Alexandra Schwartzbrod, l’utopie « des intellectuels biberonnés aux plus belles légendes occidentales » a fini par nourrir en son sein un sectarisme aussi fanatique que les autres – l’autrice invente les « Ni voile ni perruque », les laïques fanatiques. Une muraille de béton sépare dorénavant le Grand Israël contrôlé par les ultraorthodoxes (et les nationalistes russes) des Résistants de Tel-Aviv, laïques, dissidents et libres. Dans cette très légère anticipation, « le monde était devenu une succession de murs et de cloîtres ». Six personnages tenteront de passer le mur – parce qu’il n’y a pas d’autre choix (« tu comprends que l’heure est venue quand il devient plus douloureux de rester que de partir », ça vaut pour le suicide, l’exil ou la fin des passions amoureuses). Le pouvoir donne la gale, Schwartzbrod, journaliste spécialiste du Moyen-Orient, le sait bien. Elle nous offre un haletant roman noir, certes, mais porteur d’un grand espoir : ainsi le truculent Pavel qui, comme tout un chacun à Jérusalem, a été chargé de la construction d’un pan du mur, s’est arrangé pour que sa portion reste « amovible », histoire de passer discrètement d’un monde à l’autre.
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