Ils ont fait genre « il ne s’est rien passé entre nous ». Le 22 novembre, Léa Salamé a accueilli l’ancien ministre de la transition écologique Nicolas Hulot d’une poignée de main cordiale, mais sans plus, au seuil du studio de « L’Emission politique », sur France 2. Mais qui était dupe ? La question, apparemment sans malice, introduisant leur entretien – « Comment allez-vous ? » – était en réalité plus chargée de non-dits qu’un dialogue entre deux dealeurs se sachant sur écoute. Bien plus qu’une formule de politesse, c’était le rappel presque muet de l’événement auquel ils avaient participé le 28 août aux alentours de 8 h 20, sur France Inter, et dont le souvenir, trop proche, brûlait encore son invité, revenant de trois mois d’absence médiatique.
Elle triomphe dans la course à l’audience, quel que soit l’adversaire qui lui est opposé sur les radios concurrentes.
Au départ, une matinée peinarde, un face-à-face de rentrée entre l’intervieweuse la plus écoutée de France et la personnalité préférée des Français – audience garantie. À l’arrivée, un énorme scoop politique. Lui, l’œil humide, la voix tremblante et la bouche marquée d’un pli amer : « Je ne veux plus me mentir. Je prends la décision de quitter le gouvernement » ; elle, interloquée, incrédule, tout autant que son compagnon de la matinale, Nicolas Demorand – « Vous êtes sérieux, là ? » –, mais déjà soucieuse de ne pas passer pour une quiche – « Je tiens à préciser que vous ne nous l’aviez absolument pas dit avant d’entrer dans ce studio. » Trois mois plus tard, tout le monde a repris ses esprits, ses nerfs et son rôle. Surtout elle, qui, après un bref moment d’égarement, a retrouvé cette apparente froideur qui cuirasse les pros de l’info, « cet air d’indifférence qui est sa défense » (Julien Clerc).
A ce « Comment allez-vous ? », elle aurait pu répondre : « Moi, ça va. J’ai la super-pêche ! » Petite, elle voulait être Anne Sinclair. Elle s’approche de la renommée de son modèle, tout en se gardant de porter des pulls en angora passés de mode. Elle triomphe dans la course à l’audience, quel que soit l’adversaire qui lui est opposé sur les radios concurrentes.
Née à Beyrouth, d’un père ministre de la culture de Rafic Hariri, puis conseiller de Kofi Annan (secrétaire général de l’ONU), et d’une mère alépine, apparentée à une famille de diamantaires, elle grandit avec sa sœur dans les beaux quartiers de Paris, fréquentant les meilleures écoles. Effleurée par les attentats de septembre 2001 lors d’un séjour à New York, elle allie le fatalisme oriental à une volonté de réussir sa vie, propre à ceux qui ont cru la perdre. Rentrée à Paris, elle enchaîne facile, opiniâtre comme un grimpeur colombien sur la Grande Boucle, Public Sénat, France 24, i-Télé, France 2 et France Inter.
Elle se décrit comme « pudique », tout en s’accordant un minimum de peopolisation pour évoquer son petit garçon, Gabriel, et son compagnon, Raphaël Glucksmann, l’homme qui veut redonner la patate à la gauche. « J’ai envie d’exister, mais je ne suis pas à l’aise », a-t-elle résumé un jour. Cette contradiction excuse en partie le fait d’avoir légèrement perdu le sens de la mesure après son entretien avec Hulot le 28 août. « C’était un moment de grâce », s’était-elle extasiée avant de le regretter.
En décembre 2014, Libération avait dépêché Philippe Lançon pour lui tirer le portrait. Le futur auteur du Lambeau, prix Femina 2018, avait pointé cette faille : « Léa Salamé se méfie des lumières qu’elle désire. » On ne va pas courir le ridicule de vouloir mieux dire.
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