Il est comme ça, Piotr Verzilov, blagueur. C’est même son fonds de commerce, sa marque de fabrique. On ne peut malgré tout pas s’empêcher de s’en étonner, parfois. Sur les images montrant son incursion sur la pelouse du stade Loujniki, à la 53e minute de la finale de Coupe du monde entre la France et la Croatie, le 15 juillet 2018 à Moscou, on voit le défenseur croate Dejan Lovren le saisir violemment à la gorge, plein de colère. Et Verzilov continue de sourire, heureux de son mauvais coup, dans son faux uniforme de policier, entouré par une meute de stadiers pendant que ses camarades des Pussy Riot s’égaient sur le pré. « Je n’en veux pas à Lovren ! Les Croates étaient en attaque, je comprends qu’il n’ait pas aimé… »
Et il ricane encore, Verzilov, deux ans plus tard, évoquant cette fois son « record » : « Huit perquisitions en un mois, pour une affaire minable de double nationalité, ça n’avait jamais été fait ! » Certes, il rit un peu jaune : parmi les appartements perquisitionnés – tous ceux où il a passé un peu de temps ces dernières années –, il y a celui de sa mère, celui d’une amie de celle-ci… Un autre a vu sa porte brisée à la masse. Ses téléphones, ses ordinateurs sont séquestrés pour quelques semaines ou quelques années. Et le jeune activiste de 32 ans ne rigole plus du tout en finissant d’emballer ses cartons, dans l’appartement du centre de Moscou où il reçoit M : ses projets de déménagement se voient accélérés par ces visites répétées de la police.
Arrêté par 20 policiers
Au bout du compte, il y aura un procès : Piotr Verzilov est accusé d’avoir enfreint une loi de 2014 obligeant les citoyens russes à faire une déclaration s’ils possèdent une double nationalité. Ce qui est le cas de Verzilov, qui a passé une partie de son adolescence au Canada et acquis la nationalité canadienne à 18 ans. La peine prévue est limitée à des travaux d’intérêt général, et l’artiste, connu pour ses actions provocatrices et politiques, au sein des Pussy Riot ou du groupe d’artistes Voïna, pourra s’estimer heureux si les choses ne vont pas plus loin. Ces dernières semaines, les services de sécurité, et en particulier le puissant Comité d’enquête, ont fait montre d’un acharnement peu commun à son endroit, réservé habituellement aux opposants les plus endurcis ou aux traîtres…
Qu’on en juge : le 21 juin, il est arrêté par 20 policiers et emmené pour un interrogatoire qui durera treize heures. Au moment où il sort des locaux de la police, un provocateur se jette sur lui, en hurlant et en l’invectivant. Les policiers sont là, caméra à la main, attendant le faux pas, le coup de pied ou de poing. Verzilov reste calme, mais il est tout de même arrêté à nouveau, accusé cette fois… d’avoir juré dans la rue. Le jeune homme dément, mais un tribunal le condamne sur-le-champ à quinze jours de prison. Là aussi, c’est un record, pour des gros mots supposés avoir été prononcés sur la voie publique.
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