Adieu bureaux perchés avec vue incroyable sur la tuyauterie multicolore du Centre Pompidou. La vingtaine de créatifs et d’architectes du studio Be-pôles vient de regagner la terre ferme pour s’installer dans la deuxième arrière-cour d’un immeuble cossu Belle Epoque du 9e arrondissement, à Paris. Davantage qu’un besoin de locaux plus spacieux pour cause d’expansion — le studio new-yorkais créé en 2010 l’a absorbé —, ce sont les aspirations à une autre typologie de lieu qui ont motivé le déménagement dans cet ancien atelier.
Derrière la façade en verrière caractéristique du XIXe siècle industriel, les deux amis fondateurs, Clémentine Larroumet, qui vient de l’édition, et l’architecte Antoine Ricardou, explorent de nouveaux territoires du faire. Graphisme, direction artistique, identité visuelle, design, architecture…
Depuis plus de vingt ans, ces prescripteurs de bon goût travaillent globalement sur l’image des marques (entreprises, institutions ou lieux). A contre-courant des agences tout numérique, leur processus de création intègre déjà un mode opératoire artisan. La machine à idées s’alimente d’une finesse d’observation en éveil permanent, sorte de scanner naturel.
Collecte tous azimuts
Antoine Ricardou dessine et note sans discontinuer sur des carnets noirs Moleskine de référence « journal ». La collecte tous azimuts leur fait chérir la couleur d’un vieux papier, la typo d’une étiquette d’expédition ou l’usure d’une assiette en bois savoyarde. Autant de trésors qui seront utiles pour raconter un projet et l’inscrire dans le vrai…
Outre le travail sensible d’artistes intervenants, les œuvres photographiques et picturales personnelles du tandem Larroumet-Ricardou s’additionnent à ce matériel du réel, nourrissant de plus en plus les réalisations. Ainsi, des aquarelles de Clémentine accrochées aux murs de l’hôtel NoMad de Los Angeles, dont Be-pôles a signé le art program, ou des dessins de confinement à la montagne d’Antoine, exposés pour l’instant dans la bibliothèque-salle de recherche du nouveau studio. Les deux associés aiment varier leurs techniques de réflexion et de rendus. Au 60 de la rue Saint-Lazare, les expérimentations vont se multiplier grâce à l’acquisition d’une presse à gravure et d’un four à céramique.
La première étape de la rénovation a consisté en une mise à nu des surfaces. « Tu cures, tu vides tout, et tu regardes. Voilà le procédé que nous employons aussi à titre professionnel, dans l’économie de moyens d’une architecture un peu pauvre », explique Antoine Ricardou, se référant au Barn, hôtel à la rusticité chic à quarante-cinq minutes de Paris. « Tout était affreux, avec plein de trucs collés. On a enlevé la moquette, et en ponçant on a récupéré un terrazzo. Si d’emblée on avait choisi de poser du carrelage, jamais on n’aurait vu le sol moucheté avec ces traces qui le rendent magnifique. On a gratté les murs. Plutôt que de tout lisser à l’enduit, on a gardé les hésitations, les imperfections. »
Invitation aux interactions
L’énergie créatrice se concentre dans 180 m2. Hormis la bibliothèque, la pièce de réunion et une salle de bains à carreaux vert sapin — qui affirme son pedigree new-yorkais en alignant toilettes, douche et armoires vestiaires, et, près du lavabo TrueColors, le détail charmant d’un robinet à eau filtrée pour remplir sa gourde —, l’endroit, ouvert, invite aux interactions.
Le fait de resserrer la partie bureau profite à l’atelier et aux espaces de partage. Comme modèle de structure hybride, Antoine Ricardou évoque le studio de l’Indien Bijoy Jain, où collaborent architectes et artisans. Le fonctionnalisme réchauffé d’organique, typique de l’atelier d’Alvar Aalto, est également cité.
Antoine Ricardou a conçu tout l’habillage et le mobilier en contreplaqué okoumé teinté à l’huile Rubio, avec des tables à tréteaux bordées de chêne massif. Sur l’une d’elles, la maquette d’un projet d’hôtel en baie de Somme côtoie un bouquet de branchages en fleurs. Les suspensions tubulaires de DCW éditions éclairent en jaune orangé.
La matériauthèque se range dans de grands bacs, les archives et la documentation dans nombre de tiroirs et de boîtes étiquetés. L’homme d’affaires Pierre Bergé (actionnaire du groupe Le Monde de 2010 à sa disparition, en 2017), soutien et client de la première heure, leur avait soufflé l’importance de l’archivage méthodique. Dont acte.
Tester des recettes
Elément central, la cuisine-laboratoire immaculée s’habille de carreaux blancs DTile, certains choisis pour leurs fonctions (accroche-torchons, prise…). Avant d’ouvrir son établissement, un chef pourrait tester ici ses recettes, faire chauffer le four à pain ou le four à pizza. Clémentine Larroumet instaure déjà le déjeuner du vendredi entre amis, clients, collaborateurs. Elle vient aussi de lancer des cours de poterie. Se forme qui le souhaite, l’idée étant de créer bientôt des prototypes sur place. Ç’aurait pu être, par exemple, ces lampes en terre vernissée, ici à l’étude pour la maison d’hôtes Fragonard qui ouvrira à Arles.
D’ailleurs, ces objets pensés pour des lieux singuliers, et qu’on aimerait s’approprier (la lampe « carotte de chantier » des Sources de Cheverny, le banc shaker du Barn, ou même la table tréteaux du nouveau studio), vont être produits sous la marque maison, dont le nom pourrait changer. « Nous aimerions quelque chose de plus simple, qui nous ressemble. Une incarnation plus désirable du quotidien », précise Clémentine Larroumet.
Déjà, Be-pôles édite une collection de carnets photographiques (« Portraits de villes »), ainsi qu’une petite quincaillerie dont la star est le détournement typographié d’un sac à pain — vendu chez Merci depuis l’ouverture du concept store —, et la nouveauté, une ligne de cosmétiques minimaliste certifiée Ecocert. La petite boutique a pris place au sein du bureau-atelier. « Click & collect » assuré.
Dès la fin du confinement, sans craindre de gêner les équipes au travail car l’agencement du lieu a été pensé exprès, on pourra passer rue Saint-Lazare s’offrir un savon à l’eucalyptus, emballé avec une attention particulière, ou consulter les nouveaux ouvrages, tel Le Caire par Alistair Taylor-Young, à paraître en juin.
Debeaulieu
Une petite boutique scénarisée en galerie, des vases vintage chinés et des fleurs de production locale ou régionale (Var) de préférence. Le fleuriste Pierre Banchereau retravaille la teinte de certaines espèces désuètes, une mise en couleur pensée pour les faire mieux apprécier.
Debeaulieu, 30, rue Henry-Monnier, 9e.
Arthur Bruet
Un antiquaire aimant les pièces monumentales, qui ouvre sur rendez-vous son magasin et l’atelier Gustave Eiffel dans lequel il entrepose mobilier, luminaires, objets étonnants, et belles pièces des années 1950-1960, dont la collection de lampes de Jif Collin.
Athur Bruet, 30, rue Saint-Lazare, 9e. Tél. : 06-13-23-74-17.
Sõma Milton
Un bistrot comme au Japon (izakaya), avec à la carte (courte), du poisson cru, des assiettes aux saveurs recherchées qui fusionnent cuisines française et japonaise, ainsi qu’une sélection de saké. Les aubergines agedashi y ont très bonne réputation.
Sõma Milton, 4, rue Milton, 9e. Tél. : 09-81-47-92-15.