J’ai vécu un krach. Pas par procuration, dans des livres d’histoire. Mais en vrai, en tant que tradeuse. Enfin, apprentie tradeuse. Après des mois de hausse continue, le bitcoin a perdu 40 % de sa valeur, pour chuter à 30 000 dollars (24 660 euros) le mercredi 19 mai. Il y a six mois, je ne connaissais rien à son fonctionnement, son intérêt, son prix. Entre-temps, j’ai acheté une centaine de cryptomonnaies différentes, consulté mes comptes jour et nuit, je me suis même offert une formation de trading pour devenir cryptomillionnaire. Et il a suffi d’un tweet d’Elon Musk pour tout faire capoter.
10 décembre 2020
C’est ce jour-là, un jeudi vers 18 heures, que tout a basculé. Le téléphone sonne. Un journal me commande une petite pige sur cette étrange tribu des bitcoineurs. A ce moment précis, je ne connais de la monnaie numérique que la réputation sulfureuse synonyme de trafic de drogue, de terrorisme et de blanchiment d’argent. Rien de plus. Après plusieurs jours de recherches et d’interviews, j’ai l’impression de plonger dans une nouvelle matrice, un univers parallèle tapissé d’algorithmes, de codes, de puissances de calcul et de libertés individuelles. Avant d’être une monnaie spéculative, le bitcoin est une utopie devenue réalité. Pour la comprendre, il faut s’éloigner des écrans de trading et revenir à ses origines.
En 2008, un mystérieux internaute qui se fait appeler Satoshi Nakamoto publie sur un forum un livre blanc décrivant le fonctionnement d’un nouveau système de paiement pair à pair qui permettrait de s’affranchir des « institutions financières sur lesquelles repose tout le commerce en ligne ». L’idée n’est pas totalement nouvelle. A la fin des années 1980, le mouvement des cypherpunks, une communauté d’anarchistes, ambitionne de mettre en place un système d’échanges informatiques anonymes et chiffrés afin de préserver la vie privée en ligne.
Vidéo : Harcelé par les journalistes, Satoshi Nakamoto nie être l’inventeur du bitcoin
Mark Zuckerberg n’a pas 10 ans, le monde découvre les premiers ordinateurs de bureau et ce groupe informel considère déjà l’informatique comme un outil de surveillance de masse. Dès 1994, David Chaum, l’un des inspirateurs du mouvement, considère le cyberespace comme un « cauchemar panoptique » contraire aux principes de la démocratie. Il faut une monnaie électronique privée pour échapper au contrôle étatique.
Dès le début des années 2000, des informaticiens liés aux cypherpunks jettent les bases d’une devise électronique décentralisée et chiffrée. Mais tous font face à un gros problème. Si l’argent devient un bout de code, ne suffit-il pas de le copier-coller pour en créer à l’infini ? C’est alors que Satoshi Nakamoto propose une solution : il suffit que des ordinateurs du monde entier mettent leurs ressources à disposition pour gérer et sécuriser ce réseau d’échanges financiers. Chaque transaction est envoyée à la communauté en temps réel, chacun la vérifie et la valide. La blockchain, sorte de livre de comptes public inviolable dans lequel chaque page est écrite à l’encre indélébile sur des feuilles numérotées et indestructibles, vient de voir le jour.
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