C’est un souvenir en noir et blanc. Un été à Paris au milieu des années 1990, Jacques fond sous les toits d’un immeuble gris comme du charbon. Toxicomane mille fois repenti, il a 32 ans quand il replonge sévèrement : « En un an, j’ai claqué tout mon pognon, je ne payais plus mon loyer, j’ai eu une procédure d’expulsion au cul et j’ai perdu le droit de visite de mes enfants. J’ai flippé. » A l’issue de cette énième catastrophe, sa sœur lui prête une chambre de bonne le temps des vacances. Pour occuper ses journées, elle l’embarque à la piscine. La première fois, décharné dans son slip de bain, Jacques a honte de son corps de « zombie ».
Il ne veut pas y retourner, mais son médecin l’encourage fermement : « Vous avez mieux à faire ? » Non. Alors il noie son chagrin sous les eaux chlorées de la piscine Château-Landon, dans le 10e arrondissement de Paris. Il prend goût aux longueurs et au calme. « C’était il y a vingt-six ans », dit-il à la terrasse d’un café du 18e arrondissement de Paris. Si, en vingt-six ans, il s’est remarié, a changé dix fois de carrière, a repris de la drogue, s’est remis d’une dépression, a arrêté la drogue et a fini par divorcer, il n’a que rarement manqué sa séance de natation quotidienne.
1 300 clubs de natation en France
Des milliers de Français sont, comme lui, fous de piscine, accros aux bassins et dépendants des longueurs. La natation est l’activité sportive la plus pratiquée dans le pays après la marche – il existe plus de 1 300 clubs de natation en France. Ces mois du premier confinement ont plongé ces nageurs dans un état assez proche du supplice. Que pouvait peser leur minuscule sacrifice – fini les longueurs – face à la paralysie du pays, à la fermeture des commerces et des restaurants, au télétravail généralisé ? Ils ont patienté silencieusement et beaucoup, privés pour la première fois de baignade pendant une si longue période, ont découvert à quel point ils étaient accros à l’eau.
« J’étais en manque », concède Christophe Clément. Ce Parisien de 37 ans, informaticien dans une grande entreprise, nage une heure, deux à quatre fois par semaine. Cette unique activité physique le comble. En mars 2020, il s’est mis de mauvaise grâce à la course à pied mais, dès la réouverture des piscines, il a abandonné ses baskets pour le maillot de bain. « C’est une période qui a été extrêmement difficile, raconte-t-il. Je trouvais injuste que les restrictions s’appliquent aux piscines de façon plus sévère qu’à d’autres secteurs… »
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