Ils ont plus d’élèves qu’aucune classe ne peut en contenir. Ils ne répondent pas aux mains levées, mais aux pseudos @maitressadeline, @misteraenglish, @wonderwomath et @justuneprof, les intitulés de leur compte TikTok, application mobile de création et de partage de vidéos la plus téléchargée au monde en 2020. Sans aucune rétribution, ces professeurs du primaire comme du secondaire mobilisent des centaines de milliers d’abonnés autour de contenus pédagogiques ou ludo-éducatifs, d’une durée moyenne d’une minute.
Faut-il être un brin zélé, masochiste ou provocateur, lorsqu’on est professeur, pour s’aventurer sur ce réseau social plébiscité par les 13-24 ans, qui doit notamment son fulgurant succès aux vidéos de play-back assorties de chorégraphies loufoques face caméra ? « Il y a globalement un a priori très négatif sur TikTok : futile, inapproprié et chronophage, on y trouve tout et rien. Mais, parce que les jeunes y passent près d’une heure par jour, il est un support pédagogique à ne pas négliger, estime @yanntoutcourt, professeur d’histoire-géographie en lycée âgé de 35 ans, plus de 400 vidéos réalisées depuis le premier confinement de 2020. Mes 429 000 abonnés témoignent qu’il y a une appétence indéniable pour ces contenus. »
Pour capter l’attention de leurs potentiels « tiktokélèves », au beau milieu des karaokés et des sketchs surréalistes, ces professeurs déploient, sur un rythme soutenu, de courtes sessions créatives de pédagogie : réalisées avec leur smartphone, les vidéos de méthodologie comme celles liées aux coulisses du métier d’enseignant, les fondamentaux en musique, les quiz, les défis ou encore le fact-checking cumulent des milliers de vues, « cœurs » et commentaires.
Apprendre autrement
Tous s’accordent à dire qu’ils ne font pas « cours » sur TikTok, et, dans les bios qui chapeautent leurs vidéos et live, leur statut de professeur n’est pas toujours mentionné. « Apprendre autrement », écrit @yanntoutcourt : « Ce que j’enseigne en classe est nécessaire et suit un programme établi. Je ne considère pas ce que je produis sur TikTok comme de l’enseignement, ce qui m’importe, c’est de susciter la curiosité et l’intérêt pour ma matière. »
S’il assure que son image ne « dénote pas de celle de l’enseignant qu’[il] peu[t] être en cours », il ne s’est toutefois jamais présenté devant ses élèves en peignoir et perruque pour interpréter la fuite à Varennes, en 1791 – sur TikTok, si. L’enseignant souligne aussi qu’une minute, c’est court. « Cela implique de choisir des sujets précis, d’avoir un esprit de synthèse ; j’ajoute à cela des sous-titres et je parle très vite – très ! – pour en placer le plus possible. » En témoigne son explication du krach de 1929 en moins de soixante secondes.
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