« Les familles sont comme les entreprises face au Covid-19. Dans celles où ça allait mal avant, ça va très mal aujourd’hui », me faisait remarquer un spécialiste de la médiation, à propos des contentieux larvés et des rancœurs mal digérées que l’épidémie a pu faire remonter en surface. Sans rencontres à la machine à café ni repas de famille, rien ne vient dissiper les petites amertumes. Parmi les sujets prétextes à celles-ci : la disponibilité des grands-parents. Depuis trois semaines, des millions de bambins considérés comme trop contagieux pour la garderie ou pour l’école ont été expédiés chez leurs grands-parents, oui, ceux-là mêmes qu’ils ne devaient pas approcher, un an plus tôt, pour les protéger. Que l’on ne reproche pas aux parents cette contradiction, c’est le gouvernement qui l’a dit le premier à haute voix en proposant pour le troisième confinement de « permettre aux parents de conduire les enfants chez les grands-parents ».
On savait que c’était l’usage. Cela faisait déjà des années que sur les plages bretonnes l’été on voyait des enfants accompagnés de personnes à cheveux gris – les parents se réservant la Grèce, le Portugal ou n’importe quelle destination ensoleillée. Pareil pendant l’année : les grands-parents, « principaux pourvoyeurs d’aide informelle à la prise en charge des jeunes enfants », effectueraient environ 16,9 millions d’heures de garde par semaine auprès des enfants de moins de 6 ans, estimait un rapport de la Drees en 2018. « Aide informelle », disait-on.
Sentiment d’injustice
Jusqu’à présent, ce n’était pas présenté comme un dû. Avec le Covid-19 et face au manque d’autres solutions, ceux qui s’estiment mal servis s’autorisent à râler. Il suffit d’un e-mail d’une amie (« Je suis à mon bureau, entre le jardin et les gâteaux faits maison, pendant que ma belle-mère s’occupe des enfants ») pour entendre des personnes adultes se plaindre que tous leurs amis ont des parents qui gardent les petits-enfants dans des maisons de vacances sauf eux, avec autant de même mauvaise foi que des préados se plaignant que tous ceux de leur classe ont un smartphone sauf eux. « Pendant qu’on paye une baby-sitter avec notre propre argent, les cousins sont gratuits dans la maison du cap Ferret. Et en plus leur grand-mère leur fait l’école », ajoute une mère amère, comme si l’injustice aurait été plus acceptable si les grands-parents avaient planté les petits enfants rivaux devant des jeux vidéo. A leurs propres parents qui se débinent, ils arrivent à trouver des circonstances atténuantes (« Ma mère a pris la fille de ma sœur parce qu’elle habite plus près »), mais certainement pas à leur belle-famille (« Ils sont vaccinés en plus ! »)
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