Il y a neuf ans, Béatrice Brengues ouvrait Modernariato, une boutique d’objets et de mobilier vintage dans le 18e arrondissement parisien. Elle ne s’attendait pas à recevoir un accueil aussi frais des voisins venus passer une tête. « Des personnes âgées s’arrêtaient pour m’insulter. Je me rappelle d’une dame regardant un petit tabouret en plastique qui m’avait traité de “tarée” quand je lui avais dit que je le proposais à 250 euros. » Elle se souvient des réflexions qui lui étaient lancées : « Bon courage pour vendre des trucs pareils ! » ou « Comment osez-vous vendre ces objets en plastique comme des antiquités alors qu’on a été bien contents de les jeter à la benne ? ».
Les poubelles, justement. C’est là qu’avait failli finir cet exemplaire de l’Universale, une chaise en plastique aux formes enfantines, conçue par le designer italien Joe Colombo, que l’artiste Philippe Decelle avait ramassée sur un trottoir bruxellois, un soir de 1987. Son sang n’avait fait qu’un tour. Comment un meuble qu’il aimait tant, qu’il jugeait emblématique des années 1960, pouvait-il avoir échoué dans la rue ? La forme arrondie et simple de la chaise n’était sans doute pas en cause. Sa matière, en revanche, oui.
Car le plastique n’a pas bonne presse, il vieillit mal, s’abîme vite, se casse facilement et jaunit à la lumière. Surtout, ce sous-produit pétrolier a mauvaise réputation dans le contexte actuel de catastrophe écologique. Dans l’inconscient collectif, il est associé aux pailles usagées des fast-foods (interdites en France depuis le 1er janvier) aux bouteilles d’eau minérale écrasées qui jonchent les caniveaux, aux fonds marins pollués par les billes de polystyrène, et donc aux dauphins et aux tortues agonisants, l’estomac rempli d’emballages. Accusé de tous les maux, le plastique est délaissé au profit des composants naturels et supposément vertueux – le bois, le verre ou la céramique – qui ont accompagné l’évolution de l’humanité.
Un symbole de la modernité
Il n’en a évidemment pas toujours été ainsi. Ce plastique aujourd’hui décrié a autrefois été un intense objet de désir. Les plus prestigieux éditeurs de design s’en sont servis pour créer des modèles de luxe et les marques grand public des bibelots et des chaises bon marché. Au sortir de la seconde guerre mondiale, la génération du baby-boom veut tourner la page des restrictions. La culture populaire et la société de consommation émergent. Il faut toujours plus d’objets, de meubles, de bibelots, et la rigidité des modes de production de l’ancien monde n’a plus lieu d’être. Fini l’artisanat, vive le design débridé !
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