Mais comment font les sondeurs ? Car au Mée-sur-Seine, commune populaire de 20 000 habitants en périphérie de Melun, la préfecture de Seine-et-Marne, la seule certitude, c’est qu’il n’y a plus de certitudes. Ni sur les destins individuels ni sur la vie collective. Même pas sur les prochaines vacances. Encore moins sur des scrutins ou sur le devenir des hommes et femmes politiques qui nous gouvernent. Les vagues successives du Covid-19 ont bouleversé les vies, les couples, les familles, les habitudes, les représentations, les opinions. Alors, l’élection…
Le Mée-sur-Seine est une ville moyenne, mélange de quartiers HLM et de pavillons, commune discrète de Seine-et-Marne, avant-dernière station sur la ligne du RER D – autant de raisons de s’y arrêter pour prendre le pouls de la société française, douze mois avant l’élection présidentielle. Le maire s’appelle Franck Vernin, il a 60 ans, agent de voyage dans sa vie professionnelle, élu centriste (UDI) d’une ville qui avait placé Jean-Luc Mélenchon largement en tête du premier tour de la présidentielle, en 2017, et où Emmanuel Macron avait bénéficié du front républicain au second, pour atteindre près de 70 % des voix face à Marine Le Pen.
On suit le maire dans sa permanence hebdomadaire. Une quinzaine d’habitants font la queue, comme chaque mercredi, pour demander des aides, des conseils, des emplois, des logements ou venir se plaindre de leurs voisins. « Les gens sont plus irritables et supportent moins les petites difficultés de la vie quotidienne. Il faut laisser la parole sortir, jusqu’au bout, même si c’est long. Ensuite, seulement, on peut commencer à parler. Quand j’étais plus jeune, je ne savais pas, et je disais trop vite ce que je pensais, j’étais tellement convaincu d’avoir raison », raconte Franck Vernin, arrivé à vélo au rendez-vous.
La fragilité démocratique se mesure à la colère de ceux qui s’expriment. Mais aussi au silence de ceux qui ne prennent pas la parole. Ou ne la prennent plus. « Je crains le retour à la vie normale. On a mis le couvercle sur la Cocotte-Minute, que se passera-t-il quand on soulèvera le couvercle ? Chacun va revenir avec ses propres revendications ? », interroge le maire, désolé de devoir se passer des réunions de quartier et des rencontres publiques, ces moments où les élus se font souvent critiquer, mais où s’exprime, tant bien que mal, une forme de bien commun.
Les cultes souffrent aussi
Les lieux habituels qui font les conversations publiques ont disparu. Il n’y a plus de pot avec le verre de l’amitié, à l’issue des assemblées générales des associations (170 dans la ville). Il n’y a plus de cérémonie des anciens combattants, et les repas des retraités ont été annulés les uns après les autres. Il n’y a plus de tournoi de foot ou de pétanque, et de buvette pour refaire les matchs, sportifs et politiques. Il y a deux fois moins de mariages célébrés par le maire ces douze derniers mois – c’est au bas mot quarante fêtes en moins par an. Il n’y a même plus de gigot-bitume, cette coutume du BTP consistant à cuire (longuement) la viande dans l’enrobé bouillant pour fêter la fin d’un chantier. Restent les réseaux sociaux, cette drogue douce que tout le monde dénonce, fustige, condamne, mais continue de pratiquer à tous les âges.
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