Nées dans des cercles d’amis formés à l’armée, ces start-up cultivent par essence le secret ; parfois on ignore même jusqu’à leur nom. NSO Group est la plus célèbre, mais en 2018, déjà, Israël comptait quelque 700 entreprises spécialisées en cybersécurité – l’Etat hébreu est l’un des leaders de ce secteur en plein boom. Et certaines d’entre elles se sont aussi retrouvées au cœur de scandales ces dernières années. A l’instar de Cellebrite, qui vend une technologie permettant d’extraire les données d’un smartphone en le connectant à un boîtier : son système aurait servi des régimes répressifs dans leur traque d’opposants, comme à Hongkong ou en Russie.
L’entreprise israélienne, qui ne vend qu’à des Etats et gouvernements, s’est depuis retirée de certains marchés et impose des « restrictions, précise l’une de ses porte-parole. Nos décisions sont aussi guidées par des paramètres internes qui prennent en compte le passif d’un client potentiel en termes de droits de l’homme et de politiques anticorruption ». Autre start-up aux activités troubles, créée par des anciens du renseignement israélien : Black Cube. Elle a été notamment pointée du doigt dans l’affaire Harvey Weinstein, le producteur hollywoodien condamné pour viol, qui aurait sollicité ses services pour tenter de discréditer ses accusatrices.
Un ministère pas très regardant
« Selon nos recherches, les entreprises les plus problématiques basées en Israël sont le groupe NSO, Candiru, Circles, Cyberbit et Cellebrite. Toutes semblent ne pas prendre en compte, ou très peu, les potentiels usages abusifs de leurs produits. Elles ne sont pas réticentes à les vendre à des régimes qui violent régulièrement les droits de l’homme et se servent de leurs technologies abusivement pour cibler la société civile », explique Ronald Deibert, fondateur et directeur de Citizen Lab, un laboratoire de l’université de Toronto, au Canada, qui scrute les abus contre les droits de l’homme par le biais du contrôle des moyens d’information. Beaucoup de ces start-up promeuvent leurs technologies comme des outils destinés à lutter contre le crime organisé, le terrorisme ou le trafic d’êtres humains. Elles doivent en partie leur succès au fait que le ministère de la défense israélien, seul habilité à donner son feu vert pour l’exportation de technologies de cybersurveillance, n’est pas très regardant. Il a même fait de ces start-up l’un de ses outils diplomatiques et sécuritaires.
« Le ministère de la défense ou le Mossad parfois les encouragent à nouer des contacts avec des pays dont certains sont des régimes dictatoriaux corrompus et suspects, constate le journaliste israélien Yossi Melman. C’est donnant-donnant : “Je vous aide à obtenir le système Pegasus et vous me rendez un service ou vous me passez une information.” » En outre, le secteur est lucratif : en 2020, Israël a attiré 31 % des investissements internationaux en cybersécurité, juste derrière les Etats-Unis. L’Etat hébreu a créé un écosystème propice au développement de ces entreprises, en incitant les transferts entre l’armée et le privé – au service de ses propres intérêts.
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