Carte blanche. Cinq heures cinquante minutes ! C’est la durée d’une des dernières émissions en direct de la NASA, à retrouver sur la chaîne YouTube de SpaceX… Avec l’intensité d’un film suédois d’après-guerre, on y voit la capsule Crew Dragon s’approcher au millimètre près de la Station spatiale internationale (ISS), s’y amarrer avec une lenteur majestueuse pendant que l’équipage de l’ISS prépare l’arrivée des astronautes encapsulés, puis il faut attendre et encore attendre avant que les nouveaux, enfin, se coulent hors du corridor d’entrée et se livrent aux photos et discours convenus. On salue au passage la performance des deux commentateurs, chargés de densifier la bande-son… Ce moment d’histoire spatiale, servi par des images sublimes, rappelle que la vie de spationaute n’est pas que trépidante, qu’elle se remplit de check-lists, de promiscuité et d’attente.
Une partie de ces contraintes est dictée par les lois physiques, car là-haut deux caractéristiques fondamentales de la vie terrestre sont drastiquement modifiées : notre rapport à l’inertie, d’une part, et à la gravité, d’autre part. L’inertie est cette propriété selon laquelle un corps en mouvement garde sa vitesse en l’absence d’interaction. Une découverte particulièrement remarquable de Galilée, car elle contrevient complètement à notre intuition première : nous avons tendance à croire plutôt Kurt Neumann, l’auteur du méconnu Vingt-quatre heures chez les Martiens (1950), pour lequel une fusée tombée en panne ralentit et s’arrête ! C’est que nous avons l’habitude d’être au contact direct ou indirect de notre Terre avec laquelle nous interagissons et échangeons de l’impulsion : ainsi, si étonnant que cela puisse paraître, la force responsable de notre avancée lors de la marche est exercée par la Terre sur notre corps, et non par nous-mêmes.
Un finish tout en caresse
Dans l’espace, on ne peut plus transférer son inertie (ou plus exactement sa « quantité de mouvement ») sur une bonne grosse Terre, et la seule façon de modifier sa vitesse consiste à se séparer avec la plus grande vitesse d’éjection possible d’une partie de sa masse, principe de base de tout moteur de fusée (et des chaussures d’Iron Man, bien que, dans son cas, on se demande où est prélevée la masse éjectée). Pour les habitants de l’ISS, la structure de la station elle-même joue le rôle de support d’échange et, de fait, les spationautes prennent toujours appui sur elle pour se mouvoir, ou déplacer des objets. Du reste, ce même principe d’inertie rend les charges lourdes difficiles à mettre en mouvement et à arrêter, comme un scaphandre ou la capsule Crew Dragon elle-même, qui doit s’obliger, lors de l’amarrage, à un finish « en caressant les marguerites »…
L’autre modification majeure dans l’espace est notre rapport à la gravité terrestre. Contrairement à ce qu’on peut croire en voyant les astronautes flotter librement, elle n’est pas du tout annulée ! Cela vient de ce que l’ISS et ses occupants « tombent » ensemble dans le même champ gravitationnel (une propriété qui inspira à Einstein sa théorie de la relativité générale). Cette « impesanteur » offre un contexte exceptionnel pour les chercheurs qui, par le truchement des astronautes, se livrent à des expérimentations impensables sur Terre. Elle amène cependant des problèmes inédits pour le fonctionnement de l’ISS, auxquels le Terrien de base ne pense pas d’emblée.
Un exemple est la gestion de l’air dans la station : l’impesanteur supprime en effet la convection naturelle qui mélange facilement les masses d’air sur Terre, où l’air chaud a tendance à monter. On voit ainsi dans le film de la NASA qu’une ventilation est installée pour éviter les concentrations toxiques de CO₂ en homogénéisant les atmosphères de l’ISS et de la capsule, atmosphères dont on raconte d’ailleurs qu’elles ne sentent pas la rose… Apparemment cela ne gêne pas nos spationautes, au vu de leurs mines réjouies. Ils ont l’air à l’aise, flottant en impesanteur comme des poissons dans l’eau. Pesquet, pesce… Y aurait-il des noms prédestinés ?
Contribuer
Réutiliser ce contenu