Que l’on permette à l’auteur de ces lignes de ressusciter un souvenir d’enfance, un écho de colonie de vacances où, après avoir fait crapahuter une bande de gosses sur l’Aubrac, un moniteur grattouillant sa guitare leur gravait ceci en mémoire autour d’un feu de camp, accords de do et de sol majeur à l’appui : « C’était au temps d’la préhistoire/Voici deux ou trois cent mille ans,/ Vint au monde un être bizarre/Proche parent d’l’orang-outan./ Debout sur ses patt’de derrière,/ Vêtu d’un slip en peau d’bison,/ Il allait conquérir la Terre,/ C’était l’homme de Cro-Magnon./ L’homme de Cro…/ L’homme de ma…/ L’homme de gnon/L’homme de Cro-Magnon (poum !) /L’homme de Cro de Magnon/Ce n’est pas du bidon/L’homme de Cro-Magnon (pan pan)/ L’homme de Cro de Magnon/Ce n’est pas du bidon/L’homme de Cro-Magnon. »
Il y a parfois bien peu, l’épaisseur d’un cheveu, entre le léger et le grave, entre le facétieux et le poignant. C’est avec cette chanson des années 1950 en tête, signée par Les Quatre Barbus, que l’on assiste, au Musée de l’homme, à l’ouverture de « la » boîte noire dans un silence presque aussi religieux que celui qui préside à la présentation d’une relique. D’abord sort le crâne de « Cro-Magnon 1 » puis sa mandibule – sa mâchoire inférieure. Si Ponce Pilate assistait à la scène, il dirait : « Ecce Homo sapiens », comprendre « voici l’Homme ».
C’est de 1868 que date la rencontre avec le premier représentant préhistorique de notre espèce. L’heure est à l’engouement pour ce passé lointain de la Terre. Comme l’explique le paléoanthropologue Antoine Balzeau (Muséum national d’histoire naturelle [MNHN] et CNRS) : « En Europe de l’Ouest, on imagine encore que Dieu a posé son doigt et créé l’homme à son image. La question est plus de savoir de quand date l’humanité : sa naissance est-elle conforme au calendrier biblique ou y a-t-il eu des humains bien avant ? Avec les fossiles des espèces animales disparues, certains estiment que le temps est probablement plus long que ce que l’on pensait. » Il y a eu une première « alerte » en 1856 avec la découverte d’os et du haut d’un curieux crâne sur le site allemand de Neandertal mais, précise Antoine Balzeau, « il n’a pas du tout été accepté comme une pièce fossile. A l’époque, on n’a aucune des méthodes précises de datation d’aujourd’hui. Ce sont les prémices de la paléontologie, de la remontée dans le temps ».
Il vous reste 77.16% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.