Lorsque le moine Luther affiche ses « 95 thèses », le 31 octobre 1517, sur le portail de l’église de Wittemberg (Saxe), l’Europe chrétienne est, depuis la fin du XVe siècle, régulièrement saisie de frayeurs eschatologiques. Les catastrophes naturelles, les épidémies, le passage de comètes, la naissance d’enfants difformes sont perçus par la population, mais aussi par les intellectuels de l’époque, comme les signes annonciateurs de la fin des temps, de l’arrivée du Jugement dernier, qui punira ceux qui ont vécu dans le péché, et rassemblera les autres, élus de Dieu, dans une cité céleste où ils vivront le bonheur pendant mille ans.
A vrai dire, ces frayeurs n’ont rien de nouveau : de telles prophéties ont régulièrement surgi au Moyen Age, qui n’a pas été avare de pestes, de guerres et de famines. Mais au tournant des XVe et XVIe siècles, elles prennent une autre ampleur, pour essentiellement deux raisons.
L’invention de l’imprimerie, tout d’abord, qui répand comme une traînée de poudre images sataniques et libelles prophétiques. Le Pronosticon (vers 1480) de l’astrologue Johannes Lichtenberger, prévoyant une conjonction désastreuse des planètes pour les décennies à venir, est diffusé dans toute l’Europe. Les quinze planches de L’Apocalypse (1498) de Dürer connaissent le même succès.
Qu’une inondation catastrophique frappe Rome (1495) ou qu’une « bête monstrueuse » surgisse à Ravenne (1512), images et textes interprétant ces « signes » se répandent dans toute l’Europe. A l’hiver 1524, la conjonction entre une météo européenne pluvieuse et l’annonce par les astrologues d’un nouveau déluge pousse une partie de la population de Londres à se réfugier dans les hauteurs environnantes, les Romains à s’installer dans les étages supérieurs, des seigneurs rhénans et des magistrats toulousains à faire construire des arches de Noé…
L’idée que l’homme puisse se rapprocher de Dieu et de sa perfection par la connaissance et la foi pour échapper aux malheurs du monde fait son chemin dans la pensée occidentale
Les penseurs de la Renaissance et de l’humanisme sont ensuite passés par là. La traduction des textes bibliques, de la science des Arabes (l’astronomie) et des Anciens, grecs et romains, autorise de nouvelles interprétations dépassant les dogmes et les prêches de l’Eglise qui appellent à la repentance et à la soumission face à la punition divine.
L’idée que l’homme puisse se rapprocher de Dieu et de sa perfection par la connaissance et la foi pour échapper aux malheurs du monde fait son chemin dans la pensée occidentale. Dieu est de miséricorde et de bonté, pas le cruel vengeur de nos péchés. Le sort de l’homme n’est pas fixé une fois pour toutes par une obscure volonté divine, mais il est perfectible par l’action et le savoir. A condition, bien sûr, d’être guidé par la vraie parole de Dieu, celle de la Bible et des Evangiles – enfin traduits en langue vulgaire et diffusés par les libraires – et non plus celle de l’Eglise de Rome.
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