Des gares prises d’assaut par des voyageurs chargés de valises, des files de voitures tentant de quitter la ville… Dès que les premières annonces d’un possible confinement total de la population ont pris de l’ampleur, une partie des habitants des grandes villes, Parisiens en tête, a cherché un repli à la campagne – plus d’un million de Franciliens en une semaine selon les données collectées par Orange. Une fuite qui n’a pas surpris les historiens. Si, dans le passé, la ville a servi de protection en cas d’invasion, « le premier réflexe pour ceux qui le peuvent, en cas d’épidémie, c’est de s’en aller dans la campagne environnante, à la recherche d’air frais et de moyens de subsistance », commente le médiéviste François-Olivier Touati, professeur à l’Université de Tours. Hippocrate, lui-même, ne conseillait-il pas de « partir, tôt, loin et longtemps » ?
Pour autant, « dans l’histoire, les paniques sont très rares », nuance Patrick Zylberman, professeur émérite à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Après l’épidémie, les populations reviennent et rebâtissent. Si on compte des villages désertés pendant la grande peste noire de 1347, qui faucha un tiers de la population européenne, les villes les plus importantes ont survécu aux épidémies – pestes, choléra, fièvre jaune, etc. –, qui ont hanté leur imaginaire et contribué à façonner leurs contours.
Du grec épi (« par-dessus ») et démos (« peuple »), l’épidémie caractérise un mal, contagieux ou non, qui se répand brutalement et massivement dans une population donnée. Dès qu’il touche une zone importante, on parle de « pandémie ». La « peste de Justinien », qui touche l’ensemble du pourtour méditerranéen en 541, est l’une des premières grandes épidémies connues.
Les villes portuaires en première ligne
A partir du Moyen Age, les pandémies suivent les voies de circulation commerciales, militaires et religieuses. Alors que les routes terrestres sont difficilement accessibles, les villes portuaires constituent des points d’entrée privilégiés pour les épidémies venues d’Orient par bateau. Celles de la Méditerranée en tête. En 1720, la peste tue la moitié de la population marseillaise.
A une époque où les traitements sont inexistants, la seule solution pour se protéger relève de la prévention sanitaire. Ainsi, dans les décennies qui suivent la peste de 1347, les ports de l’Adriatique (Raguse, l’actuelle Dubrovnik, puis Venise, Pise…) inventent-ils « les dispositifs de protection que nous connaissons aujourd’hui : quarantaine, cordon sanitaire, qui permet de protéger l’entrée d’une région ou d’une ville, passeports de santé… », énumère l’historien et démographe Patrice Bourdelais, directeur d’études émérite à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Les bateaux en provenance de zones infectées sont priés de rester trente à quarante jours à distance du port avant d’accoster.
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