Il y a d’abord eu le son. Le chant au charme toxique, entêtant, qui accompagne le premier message audio de revendication des attentats du 13-Novembre. Il a empli la salle d’audience pendant de longues minutes, vendredi 24 septembre. Sont ensuite venues les images : des extraits du film de dix-sept minutes, superproduction de la terreur, diffusé deux mois plus tard par l’organisation Etat islamique (EI). Il y a surtout eu le commentaire, qui s’est évertué à donner un sens à cet esthétisme mortifère : les analyses toujours précises du témoin du jour, un enquêteur de la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire (SDAT), qui ponctuait chaque séquence d’un « quels enseignements peut-on en tirer ? » ou « que nous apprend ce passage ? ».
La cour d’assises spéciale de Paris était invitée, au treizième jour du procès des attentats du 13-Novembre, à plonger au cœur de l’appareil de propagande de l’EI et de son « djihad médiatique ». L’EI a professionnalisé cet aspect du combat, théorisé quelques années plus tôt par Al-Qaida, en créant une agence médiatique chargée de produire des contenus afin d’« asseoir son positionnement en tant qu’Etat », explique le policier. Mais les revendications que l’EI va « feuilletonner » après le 13 novembre 2015 ont aussi servi à « galvaniser sa base » et à « amplifier la terreur » de l’ennemi en retournant ses références contre lui : « Le produit fini, de grande qualité, reprend les codes de la pop culture occidentale, comme les jeux vidéo ou les films… »
« Avance, avance, avance… »
La première revendication des attentats du 13 novembre 2015 a été publiée quelques heures après le massacre, le 14 novembre à 11 h 54, sur la messagerie Telegram. L’enquêteur a décidé de diffuser cet audio en intégralité. Il dure plus de cinq minutes. L’enregistrement débute par un nachid, un chant islamique a cappella, seule expression musicale tolérée par l’EI.
La voix du djihadiste français Jean-Michel Clain, un cadre de la propagande présumé mort et jugé en absence à ce procès, résonne dans la salle : « Avance, avance, avance. Sans jamais reculer, jamais capituler. Avance, avance, avance, avance. Guerrier invaincu l’épée à la main, tue-les. » La salle d’audience est décontenancée par les effets paradoxaux de ce chant doux et entraînant qui appelle au meurtre. Jean-Michel Clain laisse la parole à son frère Fabien, qui va lire le communiqué de revendication :
« … Huit frères portant des ceintures d’explosifs et des fusils d’assaut ont pris pour cible des endroits choisis minutieusement à l’avance au cœur de la capitale française : le Stade de France, lors du match des deux pays croisés : la France et l’Allemagne (…), le Bataclan, où étaient rassemblés des centaines d’idolâtres dans une fête de perversité, ainsi que d’autres cibles dans le 10e, le 11e et le 18e arrondissement de Paris… » Le texte se termine par une menace à l’encontre des pays qui « insultent le prophète » et « frappent les musulmans en terre du “califat” avec leurs avions ».
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