Documentaire sur Arte à 17 h 35
Alors que le Centre Pompidou consacre au peintre une rétrospective, Serge July tente de cerner la piste suivie par l’artiste entre Picasso et Duchamp.
Entre le journaliste Serge July et le peintre Gérard Fromanger, c’est à la vie, à la mort. Ils sont amis depuis leur jeunesse, bien avant que le premier ne cofonde le quotidien Libération. Ils ont fait les quatre cents coups ensemble et partagé les mêmes passions politiques. July avait déjà consacré un ouvrage à la peinture de Fromanger (éd. Cercle d’art), en 2002. Aujourd’hui, à l’occasion d’une exposition au Centre Pompidou jusqu’au 16 mai, il en fait, avec Daniel Ablin, le sujet d’un film.
Joli film, parfois un peu maladroit, comme ceux qu’on tourne entre copains. Il commence par une profession de foi de l’artiste : « Je veux rafraîchir la peinture, la rendre toute neuve ! » Vaste programme, auquel il se consacre depuis ses débuts, non sans heurts ni sans courage : à 24 ans, grâce à son ami le poète Jacques Prévert, il entre dans la prestigieuse galerie Maeght qui trouve aux tableaux du jeune homme un faux air de ceux de Giacometti. Le voilà lancé. Sauf que Maeght l’a choisi pour ses personnages gris, joliment empâtés, et qu’il produit soudain deux tableaux lisses et colorés représentant Gérard Philipe jouant Le Prince de Hombourg. Incompréhension réciproque : Maeght lui suggère de modifier ses toiles, Fromanger préfère claquer la porte et reprendre sa liberté.
« Peinture générationnelle »
Avec raison, si on en croit le critique Jean-Luc Chalumeau, qui fut estomaqué par ces deux œuvres dès leur première présentation, et parle d’une « peinture générationnelle ». Pas du pop art, ni de la figuration narrative, autre chose. C’est cet art autre que tente de percer July : l’arrêt provisoire de la peinture à la suite du choc de la rupture avec son marchand, l’expérimentation de « collages » de contreplaqué, beaucoup plus conceptuels que ce ne fut perçu à l’époque ; l’aventure de l’atelier populaire de l’Ecole des beaux-arts en mai 1968 ; l’intuition fulgurante, partagée ensuite avec Jean-Luc Godard, d’un drapeau français dont la couleur rouge commence à couler sur le blanc, comme une hémorragie ; l’installation dans les rues de Paris des « Souffles », des demi-bulles de Plexiglas à travers lesquelles on voyait la ville en rouge.
Paysage urbain
« Pour rapprocher l’art de la vie, il n’y a pas plus exemplaire que Mai 68 », affirme Fromanger, qui, derechef, reprend ses pinceaux. Avec un problème : quelle voie choisir ? Celles défrichées par Picasso, ou celle proposée par Duchamp ? La seule façon d’échapper à un dilemme, c’est de poser un troisième thème : il fera du paysage urbain. Les rues de la grande ville, ses affiches de cinéma, ses magasins de futilités, ses kiosques à journaux, le tout en camaïeu d’une seule couleur, à l’exception des passants qui seront rouges, le plus souvent. « La banalité était neuve », sourit-il.
L’un des aspects les plus sidérants du film, pour qui ne l’a jamais vu au travail, c’est qu’il ne joue pas à l’artiste inspiré, au génie romantique. Ses ateliers sont impeccablement rangés, il est assis sur une petite chaise et il colorie sagement et sans déborder les silhouettes dessinées sur la toile à partir d’une projection photographique. « J’ai l’impression de remplir, mais je ne remplis pas. Pour moi, c’est un plaisir, le côté artisan, comme une caresse ! » Le sens de son travail ? Peut-être dans les fresques de Lorenzetti conservées près de chez lui, à Sienne : « Ils ont montré le peuple au travail, ils ont peint ce qui se passe dans le monde. »
C’était au XIVe siècle. Pour les XXe et XXIe, voyez Fromanger.
Entre Duchamp et Picasso, la piste Fromanger, de Serge July (Fr., 2015, 53 min). Le dimanche 21 février à 17 h 35 sur Arte.
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