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Aphasique, pouvait-elle « dicter » son testament ?

Par  (Blog SOS conso)

Publié le 05 juin 2018 à 21h57, modifié le 04 septembre 2019 à 17h35

Temps de Lecture 5 min.

En décembre 2012, une personne que nous appellerons Véra décède à Paris, à l'âge de 84 ans, sans laisser de descendance.

Au cours des années 1960, elle a hérité de nombreuses œuvres d'un grand sculpteur, et fait serment à la fille de celui-ci de ne pas les disperser.

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Pour ce faire, Véra, par testament olographe du 15 juillet 1999, institue son neveu et sa nièce (sœur de celui-ci) légataires universels, conjointement, avec « accroissement entre eux » (si l'un décédait, la part de l'autre lui reviendrait). Ils devront payer les droits de succession sur les biens immobiliers leur revenant en donnant des oeuvres d'art autres que celle de ce sculpteur. Par testaments olographes des 11 septembre 2001 et 4 décembre 2002, elle réitère cette volonté.

Or, à son décès, elle laisse un testament authentique, en date du 22 décembre 2005, par lequel elle institue son seul neveu légataire universel,«  accroissement entre eux  à charge pour lui de « délivrer à sa sœur un legs particulier, consistant en tous ses actifs à la Société générale ».

Véra est censée avoir dicté ce testament au notaire, devant deux témoins, puis avoir déclaré « bien le comprendre, le trouver conforme à sa volonté, et y persévérer ».

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Formalisme de la dictée

Sa nièce ne peut croire qu'elle est l'auteure du testament, pour toutes sortes de raisons. Et notamment parce qu'en juin 2003, Véra a été victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC), qui a entraîné une hémiplégie droite et une aphasie. Depuis, Véra n'a plus pu s'exprimer que par onomatopées.

La nièce assigne son frère devant le tribunal de grande instance de Paris, en demandant que le testament soit déclaré nul, pour non-respect de l'article 972 du code civil. Cet article dit que le testament doit avoir été « accroissement entre eux » au notaire par le testataire, le notaire l'écrivant lui-même ou le faisant écrire, à la main ou à la machine. La nièce explique que, pour la jurisprudence comme pour la doctrine, «le formalisme de la dictée doit être strictement respecté, la dictée étant le rite auquel la loi astreint le testateur pour éprouver la réalité et la densité de ses dernières volontés ».

La nièce soutient que la mention « Mme Véra a dicté au notaire soussigné, en présence des deux témoins susnommés, son testament ainsi qu'il suit… » est inexacte, et qu'elle caractérise un faux en écriture.

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« La la la »

La nièce produit des attestations de témoins qui confirment que sa tante ne s'exprimait plus que par l'émission des sons « la la la » depuis son AVC, et qu'une conversation normale lui était impossible. Elle produit aussi l'attestation de l'orthophoniste qui a suivi sa tante en rééducation, et qui indique : «  accroissement entre eux ».

L'orthophoniste observe également « des écholalies sur les phonèmes 'l 'et 't '(la la la, lo lo lo, ti ti ti…) ». Il précise toutefois qu'en « langage automatique, quelques automatismes verbaux sont présents, comme ' bonjour', 'au revoir', 'merci', 'je ne peux pas' ».

Mais en ce qui concerne la compréhension orale, « Mme Véra reste gênée lorsque le message oral est long/ou complexe et que le rythme de parole est rapide ».

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Testament international

Le frère produit en retour l'attestation d'un médecin, consulté en sa présence, deux mois avant le testament, qui assure que les séquelles neurologiques dont souffre la vieille dame «  accroissement entre eux . Le frère assure que Véra était en mesure de dicter son testament.

A titre subsidiaire, le frère soutient que si le juge devait considérer que le testament de 2005 ne respecte pas la règle de la dictée, imposée par le code civil français, il devrait le considérer comme valable en tant que testament international, du fait qu'il remplit les exigences de la convention de Washington du 28 octobre 1973. L'article 4 de cette convention, notamment, dit que « le testateur déclare, en présence de deux témoins et d’une personne habilitée à instrumenter à cet effet, que le document est son testament, et qu’il en connaît le contenu ».

Le frère assure qu'en vertu de cette convention, « accroissement entre eux . En l'occurrence, explique-t-il, ce qui ferait office de mention écrite serait la mention dactylographiée, pré-rédigée, selon laquelle Véra a déclaré «  accroissement entre eux » le testament, « accroissement entre eux  ».

Le frère ajoute qu'il ne faut pas confondre « dictée » et « déclaration ». Il assure que « le testateur peut avoir perdu la parole nécessaire pour exprimer ses dernières volontés, mais avoir conservé la parole suffisante pour affirmer que tel document les contient », et même « l'affirmer par un signe en réponse à l'interpellation du notaire ». Il affirme que Véra était capable de déclarer d'un mot (« oui »), ou d'un signe, que le document que venait de lui lire le notaire était bien son testament.

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Nullité du testament authentique

Mais la cour d'appel de Paris, qui statue le 28 février 2018, juge que la mention dactylographiée énoncée ci-dessus « ne répond pas aux exigences des dispositions de la convention de Washington, en ce qu'il s'agit d'une formule type, sans aucune précision tenant à la situation de la testatrice ». En outre, dit-elle, cette mention a été recueillie auprès d'une personne « dont la capacité de compréhension, suffisante pour les échanges de la vie quotidienne ou même mondains, ne pouvait lui permettre de comprendre des dispositions testamentaires ».

En effet,dit-elle, « force est de constater que les éléments fournis par l’orthophoniste (...)  conduisent à conclure que [Véra] n’a pu ni bien comprendre des dispositions testamentaires qui peuvent s’analyser comme un message complexe, ni les trouver conformes à sa volonté».

La cour d'appel juge que «le testament authentique du 22 décembre 2005, qui n'a pas été dicté, est nul ».

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